Joao Gilberto, photographié le 24 août 2008 à Rio de Janeiro
Bernard Lavilliers: «João Gilberto, c'était la sophistication même».
Joao Gilberto, photographié le 24 août 2008 à Rio de Janeiro
João Gilberto, mort à 88 ans, «était la sophistication et la sobriété même», déclare à l'AFP Bernard Lavilliers, chanteur français amoureux du Brésil, à propos de celui qui a inventé la bossa nova avec Antonio Carlos Jobim, sans «que personne n'ait fait mieux depuis».
QUESTION: João est considéré comme le père de la bossa nova. Mais qu'a-t-il réellement inventé ?
REPONSE: «D'abord, je dirais que la bossa nova est certes l'oeuvre de João Gilberto, mais aussi d'Antonio Carlos Jobim. Comme son nom l'indique, elle représente tout simplement la nouvelle vague de la samba. Il y a le même groove, mais le rythme diffère. La samba c'est le carnaval, c'est fait pour danser, la bossa c'est une musique douce, empreinte de mélancolie. Ce qu'ils ont apporté à la musique ce sont des mélodies imparables. Gilberto et Jobim ont inventé une façon de mélanger les harmonies d'une façon plus sophistiquée, plus proche du jazz. Ce qui explique que rapidement les jazzmen américains, Stan Getz le premier, se sont intéressés à cette musique. Enfin, il faut aussi mentionner Vinicius de Moraes qui a écrit les textes, dont celui de «Garota de Ipanema», devenu par la suite un tube mondial sous le titre «The Girl of Ipanema». Cette chanson raconte quand même l'histoire d'une jeune fille qui erre l'âme en peine sur Ipanema et elle a été écrite deux ans avant le coup d'Etat militaire. Cela annonçait aussi la fin de cette douceur de vivre qu'incarnait la bossa nova».
Q: Qu'est-ce qui caractérise son talent ? Sa voix, son jeu de guitare, sa rythmique ?
R: «Sa façon de chanter la bossa, c'est un style très particulier car il faisait ça à mi-voix. Il n'a jamais forcé, il fallait tendre l'oreille pour l'entendre. La bossa, c'est un domaine très intime. Toutes les mélodies complexes sur le plan harmonique, si c'est chanté fort, c'est vulgaire. Et c'est très difficile à jouer car on risque vite de faire +casino+. La bossa ne supporte pas la médiocrité. il ne faut surtout pas en faire trop. Comme disait Miles Davis: +too many notes+. S'il y a trop de notes, trop d'effets, ça ne fonctionne pas. Et Gilberto, c'était la sophistication et la sobriété même. Encore une fois dans l'exécution musicale, j'associe Jobim et Gilberto. L'un au piano, l'autre à la guitare. Je ne sais pas s'ils auraient été d'accord d'ailleurs, car ils s'étaient brouillés pour des histoires d’égo. Mais Gilberto avait une façon de jouer de la guitare bien à lui, avec la main droite, très subtile. Sa rythmique était impressionnante. Sa façon de chanter était aussi très précise, il avait un placement des notes, des mots très juste. Gilberto était très secret, solitaire et assez fermé. A un moment donné, il s'était retiré du monde, un peu à la façon d'Howard Hughes. Alors est-ce que ça s'entendait déjà dans sa façon de chanter? Je ne sais pas. Mais +Desafinado+, qui a été écrite par Newton Mendonça et se traduit par «Désaccordé», raconte la complainte d'un chanteur de bossa qui s'adresse à son amoureuse qui lui reproche de mal chanter».
Q: Quelle aura été son influence sur la musique ?
R: «D'abord, il restera les standards de ses chansons. D'autres artistes talentueux ont suivi ce mouvement, comme Chico Buarque, mais personne n'a fait mieux que João Gilberto. Il a rendu cette nouvelle vague brésilienne internationale, car auparavant les gens ne connaissaient que la samba, du moins ceux qui avaient la chance d'aller au Brésil. Cette musique a fait le tour du monde très rapidement. S'il n'y avait pas eu João Gilberto – et Antonio Carlos Jobim – ça nous manquerait beaucoup. Nombreux sont ceux qui ont été influencés par leur musique. «The Girl of Ipanema» est d'ailleurs un des morceaux les plus repris de l'histoire, Ella Fitzgerald, Frank Sinatra et tant d'autres l'ont chantée».
(Propos recueillis par Nicolas Pratviel)
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