Le chef français Joël Robuchon trinque avec le chef japonais Hirohisa Koyama, dans le restaurant "L'Atelier de Joël Robuchon" à Paris, le 13 novembre 2012
Joël Robuchon dans son premier restaurant de cuisine japonaise, "Yoshi", à Monaco, lors de son ouverture, le 29 décembre 2008
Le restaurant "La Table de Joël Robuchon" à Tokyo, le 06 août 2018
Attablés au comptoir, des clients de "L'Atelier de Joël Robuchon" à Tokyo, le 06 août 2018
Joël Robuchon et le Japon, une histoire d'amour et de wasabi
Le chef français Joël Robuchon trinque avec le chef japonais Hirohisa Koyama, dans le restaurant "L'Atelier de Joël Robuchon" à Paris, le 13 novembre 2012
Joël Robuchon dans son premier restaurant de cuisine japonaise, "Yoshi", à Monaco, lors de son ouverture, le 29 décembre 2008
Le restaurant "La Table de Joël Robuchon" à Tokyo, le 06 août 2018
Attablés au comptoir, des clients de "L'Atelier de Joël Robuchon" à Tokyo, le 06 août 2018
Camembert et champagne: Kazutoshi Narita a rendu hommage à sa façon à son mentor Joël Robuchon, sur un comptoir de cuisine du château-restaurant que le célèbre chef, fou du Japon, avait fait ériger à Tokyo.
Edifice improbable aux allures de château de Moulinsart surgissant au milieu de gratte-ciel, il accueille deux des trois restaurants étoilés du maître dans la mégapole qui compte 10 établissements à son nom (boulangeries, boutiques, cafés...).
"Après le service, les chefs avaient l'habitude de se retrouver autour d'une assiette de camembert et d'un verre de champagne. C'était un moment de calme que je partageais avec lui". Mardi soir, "j'ai eu envie" de renouer avec cette tradition, confie M. Narita, chef pâtissier de 51 ans qui a travaillé 10 ans aux côtés du cuisinier français, de New York à Taïwan.
- Une même exigence -
Joël Robuchon, décédé lundi à 73 ans, avait découvert le Japon en 1976, tout juste nommé Meilleur ouvrier de France, sur les pas de Paul Bocuse, autre patriarche vénéré des gastronomes nippons. Dans ses valises, il avait caché "des produits interdits ou inconnus, comme des échalotes, de l'estragon ou de la ciboulette", racontait-il dans une interview au site spécialisé Atabula en 2015.
"Il parlait souvent de la première fois où il est venu", raconte un autre de ses anciens disciples, Yosuke Suga, 41 ans, aujourd'hui à la tête de son propre restaurant à Tokyo.
"Il est arrivé à l'aéroport, il a vu comment les employés nettoyaient les rampes d'escalator (en les astiquant méticuleusement avec un chiffon) et il s'est dit: +je vais pouvoir travailler ici+".
Le "pape des cuisiniers", qui décrocha en 1978 ses premières étoiles au guide Michelin au sein de l'hôtel japonais Nikko à Paris (avant d'être distingué dans son propre restaurant, Le Jamin), aimait la propreté, la ponctualité, le perfectionnisme à "100%", selon l'expression de Kazutoshi Narita, autant de valeurs qu'il retrouvait chez les Japonais.
"Notre philosophie est très proche de ce qu'il recherchait", souligne M. Suga, évoquant "l'esprit ouvrier" qui les unissait. "C'était quelqu'un de très exigeant, et on aimait beaucoup cela, on est peut-être un peu maso", sourit-il.
- Comptoirs à sushis -
"Je pense qu'il respectait l'éthique de travail des Japonais. Beaucoup de mes confrères ont travaillé sous sa direction en France et il a en a acquis la conviction que nous sommes des gens qui travaillons dur", confirme Kenichiro Sekiya, chef à L'Atelier de Joël Robuchon, dans le quartier animé de Roppongi.
Dans cette cuisine ouverte sur un comptoir où s'attablent les clients, concept qu'il a inauguré en 2003 à Tokyo avant de le décliner ailleurs dans le monde en s'inspirant des restaurants de sushis, les troupes tout de noir vêtues, comme l'aimait M. Robuchon, s'affairent sous son regard perçant. Une photo, prise avec son bras droit Eric Bouchenoire, surplombe les plans de travail immaculés donnant sur une salle aux teintes rouges et lumière tamisée d'où les convives peuvent observer la préparation des plats.
Il aimait la beauté de la vaisselle japonaise - utilisée dans ses restaurants français -, les épices du pays: "wasabi, sauce soja, yuzu et shichimi (mélange de sept épices)", détaille M. Sekiya.
"Il avait sa propre interprétation des produits et des condiments, ajoutant par exemple de la crème de wasabi à une terrine de foie gras. Nous, Japonais, n'aurions jamais eu l'idée".
- "Respect des saisons" -
Il considérait l'archipel comme le berceau de "l'avenir de la cuisine", il confiait aimer "le respect des saisons, la simplicité des ingrédients et la beauté de la présentation".
Du Japon, il aimait aussi le saké, au point d'avoir ouvert une brasserie à Paris avec Dassaï, un grand producteur de cet alcool à base de riz.
Dans un message sur Twitter, l'ambassadeur de France Laurent Pic a salué un cuisinier "amoureux fou du Japon dont il disait qu'il était le +pays du monde où l'on respecte le plus les valeurs immatérielles+".
Pour Harumi Osawa, présidente de l'Association de promotion de la gastronomie française au Japon, "cette année 2018 restera, tristement, dans les mémoires".
"On a perdu deux grandes étoiles, maintenant il faut réfléchir à l'avenir de la cuisine française au Japon", confie Mme Osawa qui n'a pas prévu de se rendre à la cérémonie organisée pour M. Robuchon le 17 août à Poitiers mais lui a rendu hommage à sa façon elle aussi, en offrant une prière devant l'autel familial.
Et au-delà de son empire, la lignée Robuchon se perpétuera dans l'archipel à travers son fils franco-japonais de 30 ans, Louis, qui dirige un bar à vins dans sa ville natale de Fukuoka.
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