Interview Sheila: «J’étais une idole qui ne chantait pas devant son public»

de Caroline Libbrecht / AllTheContent

29.3.2021

Sheila s'apprête à fêter ses 60 ans de carrière. Plus qu'une chanteuse, une icône! Figure des yéyés et du disco, elle a vendu 85 millions de disques dans le monde. Elle revient avec un 27e album, «Venue d'ailleurs», sûrement le plus personnel. Confidences.

Sheila, icône de la chanson française.
Sheila, icône de la chanson française.
Guillaume Malheiro

de Caroline Libbrecht / AllTheContent

Avec des titres très personnels, tels que «Cheval d’Amble» et «La Rumeur», l’album «Venue d’ailleurs» ressemble à une autobiographie en musique. C’était votre volonté?

Cela fait quatre ans que je travaille sur cet album. J’ai voulu m’entourer de gens capables d’écrire ce que j’avais envie de dire. Je ne voulais pas juste faire un disque de plus, je voulais quelque chose de précis. J’ai voulu retravailler avec les Américains Nile Rodgers et Keith Olsen qui ont été très importants dans ma carrière. Pour la chanson dédiée à mon fils Ludovic, j’ai voulu que ce soit un vrai auteur qui l’écrive: Christian Siméon, auteur de théâtre, a été capable de transcrire ce que je ressentais, avec pudeur. Quant au titre «La Rumeur», c’est Amaury Salmon qui a écrit les paroles.



«Une rumeur ne s’éteint jamais.»

«La Rumeur est une mort lente, qui condamna Annie à vie». C’est ce que vous dites dans cette chanson qui revient sur la rumeur dont vous avez été victime. Pourquoi est-ce si difficile de s’en remettre?

On ne s’en remet jamais, il reste toujours des séquelles. J’ai fait cette chanson par rapport à mon histoire (dans les années 1960, une rumeur prétendait que Sheila était un homme, NDLR), mais aussi par rapport à ce qui se passe aujourd’hui, avec les jeunes sur les réseaux sociaux. Réalisent-ils la portée que cela peut avoir? Une rumeur ne s’éteint jamais. Il y a des victimes qui se suicident. C’est insupportable, on a la sensation d’être poursuivi par les regards, les quolibets, les réflexions… Ce sujet est complètement d’actualité!

«On a dit que je n’étais pas enceinte et que j’avais acheté mon enfant...»

A l’époque, vous avez voulu protéger votre fils, Ludovic Chancel, né en 1975. Comment avez-vous fait?

Quand j’ai eu mon fils, on a dit que je n’étais pas enceinte et que j’avais acheté mon enfant. Cela m’a poursuivie pendant des décennies. Quand Ludovic a eu vent de cette rumeur à l’école, j’ai voulu lui expliquer et le rassurer, car la méchanceté va au-delà de ce qu’on peut imaginer. En plus, j’élevais seule mon fils…

Quel genre de mère étiez-vous?

J’étais une maman rock’n'roll, on a beaucoup voyagé, on a fait le tour du monde. On partait à New York en Concorde. Ludo a eu une vie exceptionnelle, je ne sais pas s’il en avait conscience, car il était petit et il suivait sa mère. Je travaillais beaucoup, mais j’étais présente auprès de lui, car je ne faisais pas de tournées. On a fait beaucoup de choses ensemble. J’ai toujours conjugué ma carrière et l’éducation de mon fils.

«C’était un petit garçon extraordinaire, un cœur sur pattes.»

Que retenez-vous de Ludovic?

C’était un petit garçon extraordinaire, un cœur sur pattes. A l’âge adulte, ça a été plus compliqué. Mais je ne retiens que le meilleur. J’ai voulu lui rendre hommage à travers une chanson, pour le mettre dans la lumière. Laissez-le vivre, laissez-le tranquille là-haut! (Ludovic Chancel est décédé en 2017, NDLR). Dieu sait que Ludo a été aimé. Il a eu l’amour de sa mère et de son beau-père, Yves Martin. Faire un enfant, c’est à la fois beaucoup d’amour et beaucoup de responsabilités. A un moment, il faut le laisser libre et le laisser partir. C’est ça aussi, avoir un enfant.

Sheila: «Dans ma tête, j’ai 20 ans, j’ai plein de projets, plein d’envies. Il faut que ça bouge, je suis très active! Le mot «retraite» me déplaît profondément, on devrait parler de «seconde vie».»
Sheila: «Dans ma tête, j’ai 20 ans, j’ai plein de projets, plein d’envies. Il faut que ça bouge, je suis très active! Le mot «retraite» me déplaît profondément, on devrait parler de «seconde vie».»
Guillaume Malheiro

Dans le titre «Tous Yéyé», vous revenez sur cette époque qui vous a vu éclore: «On était tous yéyé, sur un vent de liberté (…) On n’arrêtait pas de danser». Quel souvenir gardez-vous de cette période si singulière?

Ce qui a fait cette époque, c’était notre jeunesse. J’ai commencé à 16 ans. On avait tous entre 16 et 20 ans, on est partis de rien, on a débroussaillé le terrain et on a construit ce qui est devenu le métier de chanteur aujourd’hui. On ne se posait pas de questions, ce n’était pas parfait, mais l’énergie était là! Cette génération s’est réveillée. Jean-Marie Périer a mis cette époque en images, il avait plein d’idées. Cela nous a menés ensuite à mai 68.

«J’étais la fille de Français moyens, mes parents travaillaient sur les marchés, ils vendaient des bonbons.»

Quel genre de jeune fille étiez-vous?

J’étais loin du milieu de la chanson. J’étais la fille de Français moyens, mes parents travaillaient sur les marchés, ils vendaient des bonbons. Heureusement ma mère était artiste dans l’âme, j’ai fait de la danse et du piano très jeune. Elle ne m’a jamais empêché de réaliser mon rêve, cela m’a beaucoup aidée! A l’époque, les filles ne sortaient pas, on ne se maquillait pas, on ne portait pas de jeans… On était très bien éduqués: le respect et la politesse étaient très importants. J’ai eu la chance d’avoir des parents qui m’ont donné des racines très profondes, c’est ce qui me permet d’être debout encore aujourd’hui.

Comment faites-vous pour rester en forme, malgré les années?

 J’ai la chance d’avoir de bons gènes et d’être en bonne santé. Mais je m’entretiens: je fais du sport, je fais attention à ce que je mange, j’ai une bonne hygiène de vie. En ce moment, avec la pandémie de covid, je fais très attention. Je suis masquée et je respecte les règles… En attendant d’être vaccinée! Dans ma tête, j’ai 20 ans, j’ai plein de projets, plein d’envies. Il faut que ça bouge, je suis très active! Le mot «retraite» me déplaît profondément, on devrait parler de «seconde vie».

«Quand vous n’êtes plus une monnaie d’échange, les gens ne vous appellent plus.»

Pourquoi, en 1989, à la fin d’un concert à l’Olympia, avez-vous annoncé votre mise en retrait?

J’aime ce que je fais. A ce moment-là, je n’étais plus en accord avec ce que je faisais et la façon dont ça se faisait. Je ne voulais plus faire de disques. J’ai beaucoup appris: quand vous n’êtes plus une monnaie d’échange, les gens ne vous appellent plus, le téléphone ne sonne plus. Cela fait très bizarre, surtout que j’étais très entourée depuis l’âge de 16 ans… Pendant ces neuf années, j’en ai profité pour écrire, sculpter, j’ai aussi présenté des émissions de télévision. Et surtout, j’ai appris à vivre, j’ai fait connaissance avec moi-même, j’ai progressé en tant qu’être humain. Je ne regrette absolument pas!

Comment êtes-vous revenue en 1998?

Dans ma carrière, j’ai fait peu de concerts. J’ai voulu revenir, mais à une seule condition: que je monte sur scène. Depuis ce moment-là, je n’ai pas arrêté. La scène, c’est la liberté pour un artiste. A mes débuts, mon producteur Claude Carrère ne voulait pas que je fasse de la scène. Mes disques se vendaient sans que j’aie besoin de faire des concerts. J’ai passé mon temps à faire des répétitions pour des soi-disant spectacles qui n’ont jamais eu lieu! A l’époque, tout le monde tournait, mais pas moi. J’étais une idole qui ne chantait pas devant son public…

Vous avez connu un succès international lors de votre période disco, comment cela s’est-il passé?

Cela a commencé en 1977, en pleine vague disco, avec mon premier titre en anglais, «Love me baby», où j’étais accompagnée par trois danseurs, les B. Devotion. Ce titre a été un tube international. Puis, j’ai fait la reprise disco de «Singin’ in the rain». Ensuite, j’ai eu la chance de rencontrer le groupe Chic: Nile Rodgers a produit mon album, «King of the world». «Spacer», premier extrait de ce disque, est devenu un succès international en 1979. Nile Rodgers m’a ouvert les portes du monde entier. Personne ne sait que c’est moi qui chante «Spacer», mais tout le monde connaît cette chanson. Avec Nile, on a une relation amicale très forte. Il est une âme sœur pour moi. Aujourd’hui, il n’écrit plus de chansons, mais il a accepté d’en écrire pour mon dernier album.

«A l’époque, il y avait une fausse rivalité montée de toutes pièces entre Françoise Hardy, Sylvie Vartan et moi…»

Quelle place occupe l’amitié dans votre vie?

Je suis très proche des Américains avec qui j’ai travaillé. Là-bas, tout est plus simple. J’ai vécu deux ans à New York, c’est une ville que j’adore. Mais étant seule avec mon fils, j’ai choisi la France, près de nos racines. En France, je suis proche de Françoise Hardy qui est une âme sœur aussi. A l’époque, il y avait une fausse rivalité montée de toutes pièces entre Françoise Hardy, Sylvie Vartan et moi… On se croisait sans se fréquenter. Carrère ne faisait rien pour que je me rapproche des autres, au contraire! Claude François était mon ami. Je l’ai vu la veille de son accident. On a fait beaucoup d’apparitions télé ensemble, on se voyait souvent. Il était fidèle en amitié.

Etait-ce dur d’être une femme dans ce milieu d’hommes?

Dans les années 1960-1970, les femmes étaient à la maison! Tout était à faire. On a révolutionné pas mal de choses. J’ai été une des premières à porter des shorts. A l’époque, ça ne se faisait pas. Aujourd’hui, les choses ne sont pas parfaites, mais n’oubliez pas qu’on part de loin. On a bougé les lignes, il faut continuer à avancer, sans pour autant castrer les hommes. On a besoin les uns des autres. Les hommes ne doivent pas se sentir tout-puissants, ceux d’aujourd’hui s’occupent aussi des enfants et de la maison. La vraie liberté des femmes vient de leur indépendance financière, sans quoi elles restent à la maison sans pouvoir se rebeller. La musique est un métier d’hommes géré par des hommes. Les chanteuses ont moins de reconnaissance. Dès qu’elles sont un peu ridées, on leur fait comprendre de laisser la place… Pourtant, il faut reconnaître que nous avons fait de belles carrières, nous aussi!

«Venue d’ailleurs», sortie prévue le 2 avril 2021
«Venue d’ailleurs», sortie prévue le 2 avril 2021
Guillaume Malheiro