CinémaAprès «Rust», Hollywood reste fébrile sur l'usage des armes à feu
ATS
15.7.2024 - 07:48
Dans un studio proche de Los Angeles, des professionnels du cinéma s'entraînent à cadrer en gros plan un pistolet en caoutchouc, tenu par un acteur. Soudain, l'armurier Dutch Merrick interrompt la troupe.
Keystone-SDA
15.07.2024, 07:48
ATS
«Il pointe l'arme directement vers l'équipe de tournage. C'est exactement ce qui s'est passé sur le plateau de 'Rust'», souligne le quinquagénaire, en référence au tournage du western d'Alec Baldwin entaché par un décès. «Qui va remettre cela en question et s'exprimer, s'il voit cette situation?»
Depuis que cette tragédie a secoué Hollywood, M. Merrick dispense une formation dédiée au bon usage des armes à feu au cinéma, avec laquelle il a formé des centaines de professionnels. La plupart de ses élèves sont encore marqués par le drame survenu le 21 octobre 2021 dans un ranch du Nouveau-Mexique.
Ce jour-là, l'acteur américain Alec Baldwin a pointé une arme censée ne contenir que des balles à blanc, mais dont un projectile bien réel a tué la directrice de la photographie de «Rust», Halyna Hutchins. Son procès pour homicide involontaire a été annulé pour vice de procédure.
«Equipes nerveuses»
«Cela a provoqué une prise de conscience chez moi», confie à l'AFP Virginia Brazier, une directrice de production chargée d'embaucher les équipes de tournage, y compris les accessoiristes et armuriers. «Je veux savoir quelles questions poser pour m'assurer que je recrute les bonnes personnes afin de garantir la sécurité».
Pendant son cours, M. Merrick pointe le «manque de budget» de «Rust» et décortique les multiples négligences de la production qui ont débouché sur cet «accident industriel».
Il apprend aussi à ses élèves à reconnaître la pointe striée caractéristique d'une balle à blanc et à observer trois «règles d'or»: pointer l'arme dans une direction sûre, ne jamais placer son doigt sur la détente avant d'être prêt à tirer et toujours la traiter comme si elle était chargée.
Ces bases sont précieuses pour une industrie à fleur de peau, selon Ryan Taylor. «La plupart des équipes sont un peu plus nerveuses» sur les tournages, témoigne cet assistant-réalisateur. «Beaucoup de membres veulent inspecter les accessoires qui sont utilisés».
Directives modifiées
La tragédie avait provoqué des appels à interdire les armes à feu en plateau. Mais Hollywood a préféré des options moins radicales. Les directives régissant leur usage viennent d'être révisées cet hiver pour la première fois depuis vingt ans, notamment pour préciser que seul un armurier peut transmettre une arme à un acteur.
Sur «Rust», c'est l'assistant-réalisateur qui avait fourni le pistolet à Alec Baldwin en assurant qu'il était inoffensif, selon l'accusation.
La Californie va aussi obliger les productions bénéficiant d'un crédit d'impôt dans l'Etat à engager un conseiller en sécurité. Cette mesure-test sera appliquée entre 2025 et 2030.
Certaines productions ont néanmoins décidé de faire une croix sur les vraies armes à feu. Des séries, comme «Walker», le «reboot» du Texas Ranger popularisé par Chuck Norris dans les années 1990, ou «The Rookie: le flic de Los Angeles», utilisent par exemple uniquement des armes à air comprimé ou en caoutchouc.
Effets spéciaux
La superstar de films d'action Dwayne Johnson ("The Rock") a également décrété que sa maison de production n'utiliserait plus d'arme réelle. Au lieu d'être produit par une balle à blanc, l'éclair des tirs est simulé grâce aux effets spéciaux.
Ces choix individuels sont loin d'être anecdotiques. «Il y a eu une forte surréaction, qui n'était pas nécessaire», estime M. Merrick.
Pour cet armurier avec 30 ans d'expérience, les armes réelles restent indispensables pour obtenir une «action authentique». Il est impossible par exemple pour un acteur de simuler le recul d'un pistolet, s'il est en caoutchouc.
Les armes à air comprimé utilisent aussi un gaz inflammable risqué et «créent un faux sens de sécurité», estime-t-il. «Si elles étaient accidentellement chargées, elles pourraient théoriquement tuer une personne».
Avec le procès d'Alec Baldwin, il craint que la défiance ne se renforce. «En tant qu'acteur, je pense à mon positionnement, à mémoriser mes répliques, à mon personnage, à suivre les instructions», explique-t-il. «L'accessoire que j'utilise, c'est la dernière chose dont je veux m'inquiéter».