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Interview
Barbara Miller: «On donne la faute aux femmes d’être violées!»
D'Aurélia Brégnac/AllTheContent
16.10.2019
La condition des femmes à travers le monde, et plus précisément, l’oppression qu’elles subissent à cause de leur corps. C’est le sujet brûlant qui a inspiré le documentaire «#Female Pleasure» à la réalisatrice zurichoise Barbara Miller. Comment briser la loi du silence autour de la sexualité féminine, comment dénoncer les abus subis et redonner aux femmes du monde la liberté de disposer de leur corps?
L’auteure a choisi, pour ce faire, de donner la parole à cinq femmes de différentes cultures et religions qui, toutes, ont connu la violence et le harcèlement. Leyla, Deborah, Doris, Vithika et Rokudenashiko ont, malgré tout, osé s’élever contre l’injustice et porter courageusement en public leur combat contre l’oppression, et pour la liberté féminine. L’auteure du documentaire Barbara Miller a accordé un entretien à Bluewin.ch, et nous explique les raisons de la colère, et l’importance de ne jamais accepter de se taire.
Vous avez récemment réalisé «#Female Pleasure», un documentaire qui dénonce la manière dont les femmes sont oppressées dans le monde, et celle dont leur liberté sexuelle est muselée… Sur quoi travailliez-vous avant ce projet?
J’ai réalisé en 2012 un autre documentaire, appelé «Forbidden voices» («Voix interdites», ndlr), à propos de trois bloggeuses à Cuba, en Chine et en Iran. Elles combattaient les régimes autoritaires en place. Je suis réalisatrice indépendante, depuis 2001, et je travaille majoritairement sur des documentaires. Avant cela, j’ai étudié le droit et je suis devenue avocate.
Vous vous êtes donc toujours impliquée dans ce sujet du droit des femmes…
En fait, je m’intéresse plus généralement aux thématiques de société, aux droits humains. J’ai fait plusieurs documentaires sur des sujets sur les femmes, comme celui sur ces trois bloggeuses, un autre à propos de la sexualité féminine et du clitoris… Alors il s’agit de thématiques sociétales, des droits humains en général et ceux des femmes en particulier, mais pas exclusivement.
Pourquoi avez-vous décidé de faire ce documentaire? Et pourquoi avoir choisi cinq femmes de différentes cultures?
J’ai parcouru le monde comme réalisatrice lorsque j’ai décidé de faire ce documentaire. J’ai réalisé que dans la plupart des pays, au XXIe siècle, quand il s’agit de la sexualité et du corps des femmes, ces dernières n’évoquent pas la question du plaisir. Quand elles parlent de leur sexualité, elles parlent d’obligation, de violences sexuelles… Je me demande comment cela se fait que, dans un monde moderne, il y ait encore ce genre de problèmes. C’est aussi parce que je travaillais en Inde lorsqu’il y a eu cet acte d’agression brutale contre une jeune étudiante violée dans un bus et qui en est morte. Je travaille beaucoup en Inde, j’aime beaucoup sa spiritualité. Mais j’ai réalisé que les femmes sont tellement maltraitées. Elles n’ont aucun droit, aucune possibilité, donc il fallait vraiment en parler.
«Il y a une forme de déshumanisation. Et c’est encore une réalité pour nous aujourd’hui»
J’ai été vraiment stupéfaite de voir que dans tous les livres sacrés, les cinq grandes religions du monde traitent les femmes comme des citoyens de seconde zone. Et surtout lorsqu’on mentionne le corps des femmes, leur sexualité, tous ces soi-disant maux qui viendraient des femmes… Il y a une forme de déshumanisation. Et c’est encore une réalité pour nous aujourd’hui, des millénaires après. Alors j’ai cherché des femmes issues des cinq grandes religions et de différentes cultures. Je me suis aperçue que les frontières n’étaient pas si claires: cela provient parfois de la religion, parfois de la culture, ou encore de la société… J’ai recherché des femmes qui ont le courage de briser le tabou autour de la sexualité féminine, qui parlent de leur expérience personnelle. Des femmes qui ont fait un premier pas dans l’espace public, parce que nous avons besoin de femmes qui se rendent compte, qui savent à quel point c’est difficile, qui traversent elles-mêmes cela.
«Depuis des millénaires, on entretient cette idée que les femmes ne sont pas assez bien...»
Pourquoi les femmes sont-elles encore subordonnées aux hommes dans certains pays aujourd’hui?
Je pense que, d’un côté, il y a ces structures qui tendent à protéger les hommes. Si l’on part du principe que la moitié de l’humanité a moins de valeur, à cause de son corps et de son identité, on établit un système dans lequel les femmes ont toujours à prouver qu’elles sont assez bien. Il y a aussi cette pression actuelle de toujours devoir être belle, gentille… Tout ça vient de là. Depuis des millénaires, on entretient cette idée que les femmes ne sont pas assez bien, et certaines essaient de faire plaisir, d’être acceptées. Nous devons réaliser qu’il ne s’agit pas que de certains pays africains ou arabes, mais que dans nos sociétés aussi, il y a cette idée. Nous acceptons d’être payées 20% de moins. Nous devons nous battre pour tant de choses aussi importantes. Et dans la sexualité, combien de femmes osent vraiment, lorsqu’elles sont au lit avec leur partenaire, dire ce qu’elles veulent, ce dont elles ont besoin, ce qu’elles aiment. Il y a encore beaucoup à faire!
Le fait d’être payées moins que les hommes est pour vous lié au fait que les femmes ne peuvent pas toujours décider de ce qu’elles veulent faire de leur corps?
Pour moi, c’est totalement lié. Parce que tout cela vient de cette image patriarcale des femmes. Mais, de leur côté, elles peuvent aussi se dire: «Ce n’est pas si important, combien je gagne». Elles peuvent être reconnaissantes. Cela a beaucoup à voir avec l’éducation, avec comment on éduque les garçons et les filles. Si l’on donnait aux filles beaucoup d’estime d’elles-mêmes, alors leur vie serait totalement différente.
«Si vous regardez la loi sur le viol, dans certains pays, c’est une catastrophe.»
A travers ce documentaire «#Female Pleasure», vous espérez qu’un jour toutes les femmes puissent être libres de disposer de leur corps et de leur sexualité. Que peuvent-elles faire concrètement pour conquérir cette liberté?
Si vous regardez ce documentaire, vous verrez ces cinq femmes qui ont vécu des expériences vraiment difficiles, et qui ont trouvé un moyen de dire qu’elles ne sont pas des victimes, que ce n’est pas ce qui les définit. Quelque chose de grave leur est arrivé et elles osent en parler. Parce qu’elles ne sont pas à l’origine du problème; ce sont les personnes qui leur ont fait cela qui sont en cause. C’est très important d’en parler, de le communiquer ; que les femmes s’acceptent et aiment leur corps. Mais évidemment, ce n’est pas si facile si la société ne les aide pas. Et c’est aussi beaucoup mieux pour les hommes si les femmes s’aiment, car cela signifie aussi qu’elles apprécient la sexualité, qu’il est question de plaisir et non de douleur.
Les pays les plus concernés devraient-ils s’impliquer plus et voter davantage de lois qui les protègent?
Absolument. Les gouvernements ont des responsabilités. Ils doivent protéger les femmes, combattre l’excision, promouvoir l’égalité… C’est vraiment la base! Parler d’éducation sexuelle – ce qui est interdit dans de nombreux pays comme l’Inde – mais qui est pourtant si important! Si vous regardez la loi sur le viol, dans certains pays, c’est une catastrophe. On donne la faute aux femmes d’être violées!
«Il y a encore l’idée que les femmes doivent faire attention à ce qu’elles portent, car elles sont peut-être trop sexy, ou trop gentilles…»
Y a-t-il quand même des avancées dans ces pays?
Dans les pays arabes, presque pas. Si vous êtes une femme et si vous êtes violée, à Dubaï par exemple, on vous met en prison et l’on dit que c’est une relation adultère. En Inde, c’est en train d’évoluer, depuis ce cas de viol, il y a beaucoup de pression de femmes, mais aussi d’hommes qui veulent changer cette culture. Dans nos pays, 80% des viols ne sont pas dénoncés à la police, et de ces 20%, seuls 10 à 15% sont jugés. Il y a encore l’idée que les femmes doivent faire attention à ce qu’elles portent, car elles sont peut-être trop sexy, ou trop gentilles… c’est une insulte incroyable!
Certains pays développés, comme les États-Unis et le Brésil, sont en ce moment en train de revoir leurs positions concernant l’avortement. Comment expliquez-vous cela?
C’est terrifiant, et c’est toujours lié à ce contrôle du corps des femmes. Les nouvelles lois sur l’avortement montrent que les femmes ne peuvent pas décider si elles veulent avoir un enfant ou pas. C’est une rechute de ce patriarcat millénaire. J’espère que cela est dû au fait que les choses évoluent positivement par ailleurs. Que ce sont les derniers mouvements de dinosaures! (Rires)
Vous considérez-vous comme féministe?
Je pense que oui. Pour moi, on peut changer les choses si les hommes et les femmes travaillent main dans la main. C’est la forme moderne du féminisme. C’est important que les hommes aussi se considèrent féministes, car c’est la condition pour faire changer les choses en faveur de l’égalité.
Avez-vous déjà reçu des menaces en raison de votre engagement?
Les protagonistes du documentaire reçu beaucoup plus de menaces, spécialement Leyla Hussein qui doit vivre sous protection policière. Personnellement, je n’en ai eu que sur Facebook, de la part de jeune hommes agressifs, militants, fondamentalistes… Mais pas de menaces directes.
Êtes-vous optimiste sur l’avenir de la liberté sexuelle des femmes?
Oui, je le pense. Je suis très optimiste grâce à ces cinq femmes, mais aussi grâce à de nombreuses femmes que j’ai rencontrées à travers le monde. Si nous osons parler de ce sujet, ne pas garder le silence, je pense que le changement viendra.
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