Interview Enora Malagré: «C'était de plus en plus personnel et intrusif»

De Caroline Libbrecht/AllTheContent

15.1.2020

Enora Malagré
Enora Malagré
Arno Lam

Sa façon de parler «cash» a valu à Enora Malagré une notoriété express dans «Touche pas à mon poste». Elle quitte la bande de Cyril Hanouna, au bout de sept ans. Et elle revient avec un livre, «Un cri du ventre», sur l'endométriose qui la prive d'enfants.

Quel a été le point de départ de l’écriture de votre livre, «Un cri du ventre» (Leduc.s Éditions)?

Je n’ai pas eu le choix. Cette libération de la parole s’est imposée à moi, mais je n’avais pas envie d’en parler. J’étais extrêmement gênée comme la plupart des femmes concernées par cette maladie, l’endométriose. C’est très tabou!

Pourquoi en avoir finalement parlé lors d’un prime time de «Touche pas à mon poste», sur C8?

Un téléspectateur m’a demandé pourquoi je n’avais pas d’enfant… Cette question très intrusive m’a été posée des centaines de fois. Encouragée par mon ami Jean-Luc Lemoine, j’ai révélé être atteinte d’endométriose. C’était comme un cri du cœur, un cri du ventre. Cela n’a pas suscité de réactions sur le plateau. Mais, en sortant, j’ai reçu beaucoup de messages de soutien de la part de femmes, sur les réseaux sociaux et par mails. Je me suis dit que je ne pouvais pas ne rien faire après cette prise de parole.

Le silence sur le plateau de TPMP, c’était de la gêne ou de l’indifférence?

Mes collègues sur le plateau ne connaissaient rien de ma vie personnelle, à part Thierry Moreau, Jean-Luc Lemoine et Camille Combal qui étaient des amis. Les autres étaient des collègues, comme dans n’importe quel boulot. La télévision, c’est du spectacle, on joue des personnages. Je n’en veux à personne, j’en veux juste à la télé d’anesthésier la compassion. Je n’ai pas été étonnée de l’indifférence de mes confrères, je m’y attendais.

«Je n’ai pas été étonnée de l’indifférence de mes confrères, je m’y attendais.»

Cette révélation intime ne collait peut-être pas avec votre personnage de l’époque…

Ce n’était plus mon personnage qui parlait, c’était Enora! Cette émission était de plus en plus personnelle et intrusive. J’étais obligée de répondre avec ma propre voix, et pas celle de mon personnage. En partant de là, j’ai décidé d’écrire un bouquin. C’est une façon très intime de parler de cette maladie qui touche à l’intimité, donc c’est cohérent. J’ai mis du temps à écrire. J’ai décrit des crises de douleur comme jamais on en parle. C’était comme de l’écriture automatique: je prenais un stylo et une feuille à chaque fois qu’une crise surgissait.

L’écriture de ce livre vous a-t-elle fait du bien?

Cela n’a pas été simple. Et puis, il a fallu me replonger dans mon histoire, dans l’histoire de ma famille. Ma mère et ma grand-mère souffraient aussi de la maladie. L’écriture du livre a duré un an. Je ne peux pas avoir d’enfant, là j’ai accouché d’un livre, ce que je trouve assez joli. Ce livre m’a apaisée. Je me suis réconciliée avec ce corps qui me fait tant souffrir et qui ne m’offre pas le cadeau dont je rêve - avoir des enfants - et je me suis rendu compte à quel point ce livre a libéré la parole autour de moi.

«J’ai utilisé une langue qui me ressemble pour décrire ce quotidien trash»

D’autres, avant vous, avaient témoigné aussi sur l’endométriose…

Laëtitia Milot en a parlé dans un livre, en 2016, avant de tomber enceinte. Elle a fait un travail formidable pour faire connaître la maladie. Mais jusque-là, personne n’en a parlé comme moi. J’ai utilisé une langue qui me ressemble pour décrire ce quotidien trash. Et puis, contrairement à Laëtitia Milot, je n’ai toujours pas d’enfant et je suis toujours malade. Même si j’ai été opérée plusieurs fois, on ne guérit jamais de l’endométriose. Tous les jours, dans la rue, on me parle de mon témoignage, donc je me dis que, pour une fois, j’ai peut-être fait quelque chose de bien dans ma vie (rires)!

C’est une maladie dont on souffrait autrefois en silence. Quels sont les moyens connus aujourd’hui qui permettent de ne pas souffrir de cette maladie?

J’en souffrais une vingtaine de jours par mois. Il n’existe pas de traitement, mais il existe plusieurs possibilités: on peut se faire opérer, on peut prendre la pilule en continu… J’ai tout essayé. Selon le stade de la maladie, la solution est différente. Personnellement, je suis aujourd’hui sous ménopause artificielle. J’attends la ménopause avec grande impatience car c’est la seule chose qui pourra faire taire mes maux.

Comment avez-vous découvert que vous étiez atteinte d’endométriose?

Il faut environ 7 ans pour poser le diagnostic de l’endométriose en France! Je raconte, dans le livre, mon parcours du combattant: la succession des gynécologues que j’ai consultés, avant que le diagnostic soit enfin posé et que ma douleur puisse enfin être un peu soulagée… C’est très compliqué. L’endométriose dont on commence à parler depuis quelques années, c’est bien. Trouver un traitement, ce serait mieux! Je voudrais que les jeunes filles puissent être diagnostiquées bien plus tôt. Alertée sur le sujet, la Ministre de la Santé vient d’en faire une priorité de santé publique. Il était temps!

Dans votre livre, vous racontez que votre naissance relève du miracle…

Oui, ma mère, elle-même atteinte d’endométriose, est tombée enceinte par accident, puis on a dû lui retirer l’utérus. Elle n’a pas eu d’autres enfants malheureusement. Mais c’était tabou. J’ai connu les détails de tout cela tardivement. La sortie du livre nous a encore plus rapprochées. Elle m’avait soufflé dans l’oreille le nom de la maladie, endométriose, mais je n’y avais pas attaché trop d’importance. On n’en parlait pas tant que ça. Je voyais ma mère malade, qui souffrait et qui prenait des médicaments, mais je ne mettais pas de mots sur ce qu’elle avait. C’était une génération où les femmes souffraient en silence. On accouchait dans la douleur, on faisait des fausses couches; on endurait la souffrance… Sans parler des violences conjugales. Aujourd’hui, cette époque est révolue!

«C’est le combat du couple. On fait couple à trois, avec la maladie»

Ce combat contre la maladie n’est pas seulement un combat féminin. Comment votre amoureux réagit-il?

C’est le combat du couple. On fait couple à trois, avec la maladie. J’ai des crises, je perds beaucoup de sang, etc. Du coup, on se retrouve à partager d’emblée une intimité où on vit des moments gênants. Il y a les hommes qui restent et ceux qui s’enfuient. Le mien est resté, il a assumé tout cela de façon assez sereine. Je crois que j’ai le compagnon le plus féministe qui soit!

Aujourd’hui, envisagez-vous l’adoption?

Pour l’instant, je dois faire le deuil d’une grossesse. En revanche, je ne renonce pas à être maman. Je commence à envisager l’adoption. Mais ce n’est pas une chose facile, c’est un parcours long et semé d’embûches. C’est dramatique car la plupart des gens qui s’orientent vers l’adoption ont déjà un background de souffrances et ils doivent en plus se heurter à de nouvelles difficultés. Mais je sens une lumière au bout du chemin…

Avez-vous l’impression que le public a changé de vision sur vous, depuis que vous avez quitté «Touche pas à mon poste» en 2017?

J’ai quitté mon travail, mais aussi mon personnage. Mon image auprès des gens a probablement changé, mais ce n’est pas calculé. Et puis, j’approche de mes 40 ans, ce qui est très apaisant aussi. Je joue au théâtre, je me sens très chanceuse. Après des années sur Radio Nova, j’ai fait de la télé. Je viens de refermer la parenthèse, tout en gardant un pied dedans: je suis chroniqueuse dans l’émission d’Éric Naulleau, «De quoi j’me mêle», sur C8. On ne se désintoxique pas de la télé aussi facilement (rires)!

Retrouvez Enora Malagré:
- En librairie: «Un cri du ventre», Leduc.s Éditions
- Le samedi soir, dans l’émission «De quoi j’me mêle», sur C8

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