Cinéma L’intelligence artificielle s’invite dans l’animation

Basile Mermoud

6.10.2025

Trente ans après la sortie de Toy Story, premier film d'animation en 3D de l'histoire, le cinéma d'animation entame une nouvelle évolution avec l'émergence de l'intelligence artificielle, que les professionnels manipulent encore avec méfiance, à commencer par les grands studios.

L'IA a ingéré les plus de 300 épisodes de «Pocoyo» pour ressortir des images propres sur commande, fidèles au graphisme de la série (archive).
L'IA a ingéré les plus de 300 épisodes de «Pocoyo» pour ressortir des images propres sur commande, fidèles au graphisme de la série (archive).
IMAGO/Newscom World

Agence France-Presse

Nouveau venu dans l'univers de l'animation française, le studio Animaj, créé en 2022, se présente comme un pionnier de cette transition. Le studio, qui réalise des séries comme «Pocoyo» destinée aux très jeunes enfants, a récemment racheté les droits pour le personnage de Maya l'abeille. «Il y a une voie qui permet d'utiliser l'IA de manière efficiente», veut croire son fondateur et PDG, Sixte de Vauplane.

Animaj a développé un modèle capable de créer des images animées à partir de «prompts» (un texte ou un croquis donné à une IA) qui peuvent ensuite être retouchées ou affinées. L'outil a ainsi ingéré les plus de 300 épisodes de «Pocoyo» pour ressortir des images propres sur commande, fidèles au graphisme de la série.

Le modèle maison est «entrainé sur nos propres bases de données copyright» pour éviter toute infraction aux droits d'auteur, l'un des freins à la généralisation de cette technologie, explique Sixte de Vauplane.

Les IA génératives comme Sora (OpenAI) ou Veo (Google DeepMind) sont  accusées de s'exonérer de tout respect du droit d'auteur, comme l'a montré la production d'images inspirées des films du Studio Ghibli et de Hayao Miyazaki.

Emplois

L'annonce récente de la collaboration d'OpenAI avec une maison de production britannique, filiale de la société française Federation Studios, pour la réalisation d'un long métrage, a d'ailleurs suscité un vent d'inquiétude dans la profession.

«L’outil technologique ne saurait remplacer la sensibilité, la vision et l’engagement des créateurs et des créatrices», ont réagi plusieurs organisations représentatives d'auteurs d'animation en France.

Jean-Jacques Lonni, animateur-graphiste, y voit un énorme danger pour les séries télévisées d'animation, «dont les structures sont assez normalisées» et qui ont vocation à s'exporter dans de nombreux pays ("Pocoyo" est par exemple à l'origine espagnole).

Avec l'IA, «on peut fabriquer un package créatif de base pour n'importe quel produit d'animation et c'est le travail des auteurs graphiques qui est directement attaqué», observe M. Lonni, également co-président des Auteurs groupés de l'animation française (AGrAF).

«Ca lave, ça nettoie, ça nivelle. On sait déjà que le marché de l'animation est preneur de ça», poursuit-il. Jean-Jacques Lonni craint de voir de nombreux designers graphiques perdre leur travail à cause de cette évolution, dans un secteur qui emploie entre 10.000 et 12.000 personnes, estime-t-il. Le marché de l'animation est très dynamique en France, notamment dans les séries, avec des succès internationaux comme «Miraculous».

«Beaucoup de métiers vont changer», admet Sixte de Vauplane, pour qui la priorité devrait être la formation des générations actuelles d'artistes à cette nouvelle technologie.

Les outils comme celui développé par Animaj permettent des «gains substantiels» en temps et en argent. «Ceux qui ne les mettront pas en place n'arriveront plus à avoir de système viable» dans un marché de l'animation en pleine crise de financement, affirme M. de Vauplane.

Gros studios

Ce danger ne semble pas encore concerner les gros studios. «L'intelligence artificielle bouleverse tout, nous ne pouvons pas l'ignorer», a reconnu auprès de l'AFP Bob Pauley, designer graphique chez Pixar et cheville ouvrière du premier «Toy Story», sorti en 1995.

«On a toujours des gens qui dessinent à la main. Ce n'est pas aussi courant qu'avant, mais c'est toujours là parce que c'est un savoir-faire et une forme d'art essentiels», insiste le créateur du personnage de Buzz l'Eclair, qui a aussi travaillé sur «Cars».

Pixar, locomotive du secteur, est capable de consacrer des moyens colossaux sur un film, dont la durée de production est de cinq ans en moyenne. «Vice-Versa 2», plus gros succès du box office mondial en 2024, a par exemple coûté 200 millions de dollars.

«J'ai vu quelques courts-métrages faits par l'IA et ils ne sont pas très bons», a assure Bob Pauley, actuellement occupé à la réalisation de «Toy Story 5», dont la sortie est prévue en juin 2026.

«Ce serait sympa de pouvoir faire un film en deux ans (grâce à l'IA). Mais je ne veux pas que ce soit au prix du style ou du contenu émotionnel», a-t-il ajouté.