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Interview Nathalie Ducommun: «Le succès est venu, un peu malgré nous, avec une vidéo de Mélania Trump»
Judith Monfrini/AllTheContent
18.2.2018
Nathalie Ducommun est la rédactrice en chef adjointe du TJ mais elle est également la cheffe de projet de Nouvo, un outil journalistique destiné à rajeunir le public de la RTS. Portrait d’une journaliste confirmée qui a de la suite dans les idées.
Bluewin: Nathalie Ducommun, comment est né ce projet, Nouvo?
Nathalie Ducommun: le rédacteur en chef de l’équipe de la télé, Bernard Rappaz m’a chargée, en 2015, de réfléchir aux nouvelles écritures, aux nouveaux publics et à la manière dont la RTS pouvait rajeunir l’audience. Je me suis donc intéressée à la façon dont la jeune génération consomme les nouvelles, au format qui lui parle. Les jeunes sont actifs, ils aiment s’identifier à une info, dire ce qu’ils en pensent, en débattre et la partager. J’ai décidé de tester des choses et j’ai choisi la rédaction de Nouvo parce que c’était la marque la plus jeune de l’actualité, elle produisait une émission de télévision destinée aux nouvelles technologies. Avec l’équipe, nous nous sommes inspirés de ce qui se faisait ailleurs, comme AJ+ (ndlr. les courtes vidéos d’information de la chaîne de télévision Al-Jazeera) ou encore NowThis. Et nous nous sommes lancés. Très vite, nos vidéos ont fait un carton! L’accueil a été très positif, les vues et les réactions ont été nombreuses
Que vous a inspiré ce succès?
Il y avait vraiment une demande du jeune public, qui ne concernait pas uniquement les réseaux sociaux, mais aussi la télévision. Il fallait donc être tous en phase. Si les journalistes de la télé et ceux des nouveaux médias ne s’échangeaient pas les bonnes pratiques, s’ils ne réfléchissaient pas ensemble à la manière de raconter l’information, aux modes de narration qui plaisent à ce public, ils risquaient de se tirer une balle dans le pied. L’idée était de changer un peu la manière de faire de chacun, y compris au sein de la rédaction TV, qui est vue un peu comme «la rédaction des vieux». Nous avons donc créé les comptes Nouvo et le concept a intéressé le grand patron de la SSR, Roger de Weck. Il voulait que Nouvo soit diffusé dans toute la Suisse et pas seulement à la RTS. En mars 2017, nous avons ouvert des comptes en allemand avec SRF, italien avec RSI, en anglais avec Swissinfo et en romanche avec RTR et je suis devenue cheffe de ce projet national
Récemment vous avez remporté un prix…
Oui, à la fin de l’année dernière nous avons remporté le prix du Meilleur du WEB, c’était une consécration. Avec Nouvo, nous avons eu de la chance, nous ne voulions pas faire le buzz mais seulement susciter de l’engagement autour d’une offre d’information. Le succès est venu, un peu malgré nous, avec une vidéo de Mélania Trump, qui a fait 19 millions de vues! Dans la vidéo d’Amélie Boguet, la femme du président Trump est en train de plagier Michelle Obama. Du coup, grâce à ce succès, nous avions un socle de public avec lequel nous pouvions tester nos écritures, voir comment il réagit, entrer en relation avec lui. Ce qui me plaît dans ce projet, c’est d’être en lien avec notre audience: on lui parle, on interagit, on lui répond.
«Ce qui me plaît dans ce projet, c’est d’être en lien avec notre audience»
Comment mesurez-vous l’engagement du public?
Facebook mesure les «like, réactions et partages». Cette génération-là a parfaitement intégré la grammaire des réseaux sociaux. Elle est réactive et si un contenu lui parle, elle réagit et se l’approprie. Nous nous faisons un point d’honneur de répondre, quand on nous pose des questions, que ce soit en message privé ou sur notre page. On explique notre démarche, on questionne notre audience. C’est très différent de la télévision où l’on est moins habitué à l’interaction. Cela nous fait réfléchir à notre pratique de journaliste, sur le sens de ce métier.
Est-il possible de conserver une information de qualité avec de courtes vidéos?
Le but premier de Nouvo est d’offrir une prestation qui réponde aux exigences du service public, c’est-à-dire une information crédible et vérifiée. On ne baisse absolument pas l’exigence en termes éditoriaux et éthiques, en revanche on se permet un ton, un angle différent. Nous nous adressons à notre public en lui disant: voici ce que vous allez voir aux informations ce soir, et voilà notre vision. Il nous arrive aussi de nous distancier de l’information «mainstream». Par exemple, nous avions réalisé une petite vidéo, à l’IPhone, sur une récolte de cheveux chez les coiffeurs pour confectionner des perruques, à l’occasion de la journée contre le cancer. L’histoire se déroule à la Chaux-de-Fonds. Elle a fait plusieurs millions de vues parce qu’elle raconte quelque chose d’universel. Nous essayons de pratiquer un journalisme constructif et réalisons beaucoup de sujets environnementaux qui parlent de solutions. Nous avons, au sein de la rédaction, des personnes qui ont une expertise.
L’objectif de rajeunir le public est-il atteint?
Nouvo dépasse les 100’000 fans et il est l’un des programmes qui suscite le plus d’engagement à la RTS. Il est soit liké, soit commenté, soit partagé. Le public est âgé en majorité de moins de 34 ans, l’objectif est donc atteint. Nouvo marche très fort au Tessin, un peu moins bien en Suisse allemande mais le pari est globalement réussi.
Comment se compose l’équipe?
En tant que responsable de projet national, la RTS a plus de moyens puisqu’elle est leader. Notre équipe romande est composée d’une productrice de vidéos, Amélie Boguet, de trois journalistes, d’un social media editor et d’un graphiste. Chaque équipe nationale, Berne, Zurich, Coire et Lugano, est composée de deux journalistes vidéo. Mais nous ne formons qu’une seule rédaction. Nous adaptons certaines vidéos à condition que les sujets soient concernants pour tous. Trois jours par mois, nous nous retrouvons avec toutes les équipes pour faire le débriefing et réfléchir à de nouveaux modes de diffusion.
«Nous essayons de pratiquer un journalisme constructif et réalisons beaucoup de sujets environnementaux qui parlent de solutions.»
Et quels sont les idées qui émergent suite à ces brainstorming?
Depuis quelques semaines, nous nous sommes lancés dans les stories sur Instagram. Récemment, on a créé un nouveau format, le journal «Tout bô», dans la veine constructive. La journaliste Aurélie Cuttat choisit quatre à cinq nouvelles pour donner une autre image du monde, plus positive que celle qui relate les drames auxquels l’humanité fait face. Il s’agit ici de personnifier un peu notre contenu, pas seulement une vidéo textée. Aurélie est face caméra, avec un peu d’habillage graphique et donne les cinq nouvelles qui peuvent «filer la pêche aujourd’hui».
Finalement quelle est votre ligne éditoriale?
Nouvo est une offre d’information généraliste. On ne passe pas à côté de l’actualité dominante, mais nous y mettons notre propre regard. On privilégie l’actualité locale qui contient un sens universel, mais aussi les «explainers», les vidéos qui expliquent des réalités complexes. Par exemple, pour tous les objets de votation fédérale, on réalise de courtes vidéos sur les choix qui sont offerts au jeune citoyen. C’est le côté «tutorial » avec des vidéos complètement graphisées. La nouvelle génération a un rejet de l’information qui, sous forme de flux, déverse les catastrophes. Elle veut du sens, elle veut être acteur de l’info et n’est pas d’accord de la subir. Notre devoir de journaliste est d’adapter la narration pour sortir du flux et de l’information mortifère. Une phrase comme: «20 personnes sont mortes en Afghanistan» ne doit pas tomber seule. Il faut expliquer pourquoi nous en sommes là, l’occupation russe puis américaine, etc. Evidemment que dans la vidéo de la Chaux-de-fonds, nous donnons les chiffres du cancer en Suisse mais le message est plus constructif. Même avec la télévision, nous avons des spectateurs qui nous écrivent pour réclamer autre chose que la liste des catastrophes dans le 19 heures 30. C’est humain de rejeter ces morts, l’homme a besoin de vie.
Est-ce important d’être rattaché à la rédaction de l’actualité?
Oui absolument, notre rigueur éditoriale est la même que celle du 19 heures 30. Les médias qui ont une crédibilité ne doivent pas passer à côté de ce public, sinon on laisse le champ libre aux «Fake news». Nouvo utilise les images tournées par les équipes de la RTS. Chaque jour, Nouvo participe à la conférence de rédaction de l’actualité à 9 h 30. Les sujets sont débattus, puis à 10 heures, nous appelons les unités en Suisse. Nous produisons dix vidéos par jour au niveau national, dont trois en français sur Nouvo RTS.
En savoir plus sur Nathalie Ducommun
La journaliste a débuté à la RTS en 2009, après avoir travaillé au journal Le Matin. En 2011, elle présente Forum à la radio suisse romande à Lausanne, puis lance «En ligne directe». Nathalie Ducommun rejoint, en 2014, l’équipe de la rédaction en chef de la télévision à Genève. Elle y assume la fonction de rédactrice en chef adjointe de l’actualité TV mais elle est également cheffe de projet de Nouvo, le programme destiné aux jeunes qui vient d’être primé et dont la devise est «Nouvo, faites tourner l’info». Son contenu? De courtes vidéos destinées aux jeunes mais qui ont la rigueur des grands reportages journalistiques.
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