Brasserie de l'EspéranceEn fermant son site, Heineken «sacrifie un de ses enfants»
ATS
8.12.2022 - 07:28
«Est-ce que vous trouvez ça juste?» «Nooon!». Ils sont une centaine à s'époumoner sur le parking de la Brasserie de l'Espérance, près de Strasbourg: alors qu'Heineken engage jeudi les négociations du plan social pour fermer le site, les salariés dénoncent un «sacrifice» au nom de la rentabilité.
08.12.2022, 07:28
08.12.2022, 09:23
ATS
«Ils se servent de toutes les excuses possibles pour détruire notre maison: zone à faible émission (ZFE), écologie, crise des énergies. Mais la vérité est simple, nous fermons afin d'enrichir des personnes déjà bien aisées», s'indigne au micro Arnaud*, représentant du comité social et économique (CSE) de l'entreprise basée à Schiltigheim (Bas-Rhin).
En face de lui, des salariés: brasseurs, filtreurs, soutireurs, mais aussi agents du conditionnement, repérables à leur gilet fluo, ou des services administratifs.
Tous sont venus exprimer leur écoeurement à la veille de l'ouverture des négociations du «plan de sauvegarde de l'emploi» (PSE) qui doit aboutir à la fermeture de l'usine de Schiltigheim, où travaillent toujours 220 personnes, d'ici fin 2025.
«On nous a toujours vendu qu'Heineken était un groupe familial. Nous ne connaissons pas une seule famille qui sacrifierait un de ses enfants pour que ses parents puissent mieux vivre», poursuit l'homme au micro, en rappelant que le groupe dégage des bénéfices. En 2021, le deuxième brasseur mondial a annoncé un résultat net de plus de 3,3 milliards d'euros.
«C'est du pipeau»
Le 15 novembre, Heineken évoquait la «baisse des parts de marché» et «l'augmentation du coût des matières premières et de l'énergie» pour justifier la fermeture, et un report des volumes de production sur ses autres sites français de Mons-en-Baroeul (Nord) et Marseille. Ceux-ci doivent bénéficier de 100 millions d'euros d'investissement.
Pour le délégué du CSE, «une partie de cette somme» aurait permis de développer la seule des trois unités de production qui utilise des bouteilles en verre consignées, d'exploiter les 16'000 m2 de toitures pour installer une centrale photovoltaïque, ou encore de traiter les rejets liquides pour «produire du biogaz».
Au contraire pointe-t-il, Heineken fait le choix de concentrer sur deux sites ses prélèvements dans les nappes phréatiques, malgré les risques de conflits d'usage autour de la ressource en eau.
«La stratégie environnementale, c'est du pipeau», fustige-t-il mercredi auprès de l'AFP. «Et pourtant des solutions il y en a. L'usine est plutôt moderne, on est capables de faire tourner la production, mais il faut continuer à investir».
Pendant que les semi-remorques et les citernes poursuivent leur va-et-vient, le représentant du CSE déplore l'absence de politique concertée avec les pouvoirs publics, en prenant l'exemple de la voie de chemin de fer qui traverse la brasserie, inutilisée depuis une dizaine d'années.
«Si on avait pu discuter avec l'Etat, la SNCF, on aurait tout misé là-dessus. Pourquoi on ne l'a pas fait?», s'interroge-t-il. Dans le quartier, les nuisances sonores liées au transport routier sont un motif de plainte récurrent pour les riverains.
La fin de la «bière de Noël»
Pour ses collègues, cette nouvelle fermeture est la marque d'une perte des «valeurs historiques du groupe».
«Avant, on avait des valeurs fortes de proximité, d'humanité, d'authenticité, qui nous différenciaient», rapporte Isabelle* salariée depuis 33 ans. «Aujourd'hui, la logique c'est les grandes séries, la bière industrielle et surtout la rentabilité».
Les employés regrettent encore l'arrêt, il y a deux ans, de la production de la «bière de Noël» en bouteille. «Pourtant, en Alsace, on est une terre de bière et une terre de Noël. Les magasins étaient choqués, les clients la demandaient. On a perdu notre âme».
Après la fermeture, sur la commune, de la brasserie Adelshoffen, en 2000, puis de la brasserie Fischer, en 2009, toutes deux également propriétés du groupe, les salariés abordent la négociation avec lassitude.
«Plus on avance en âge et plus c'est dur. On ne rebondit pas de la même manière quand on a 50 ans ou quand on en a 25», explique Karine(*), 51 ans, qui a connu les deux brasseries précédentes. «A chaque fois, c'est une masse de personnes qui vivent les mêmes questionnements, les mêmes angoisses, ça dure longtemps... C'est pas un cadeau».
(*) les prénoms ont été modifiés à la demande des personnes interrogées