Le constructeur japonais Nissan, un temps force de l'alliance qui l'unit au français Renault, est en plein marasme: il s'apprête à annoncer jeudi des mesures drastiques pour redresser ses comptes, les médias japonais évoquant plus de 10'000 suppressions de postes.
Son patron, Hiroto Saikawa, avait prévenu au printemps: les réformes seront douloureuses, et le groupe n'a pas d'autre choix, acculé selon lui par la stratégie d'expansion à marche forcée menée par Carlos Ghosn, sauveur aujourd'hui vilipendé.
«Nous ne commentons pas les spéculations», a réagi une porte-parole de Nissan. Mais d'après l'agence de presse Kyodo et des grands journaux, l'annonce tombera jeudi, à l'occasion de la publication par le constructeur de résultats catastrophiques qu'on sait d'ores et déjà catastrophiques.
Après une dégringolade de ses profits l'an dernier, Nissan débute l'exercice 2019/20 par un plongeon de son bénéfice opérationnel de 90% au premier trimestre de l'exercice en cours (avril-juin), bien en deçà des estimations des analystes. Ce chiffre, initialement rapporté par le quotidien économique Nikkei, est «globalement exact», a confirmé le groupe dans un bref communiqué.
Son compatriote Mitsubishi Motors, dernier venu dans l'alliance, présente quant à lui ses comptes ce mercredi et, après une très bonne année, il s'attend également à des profits en chute.
«Inévitable»
Aux 4800 postes déjà évoqués en mai par Nissan, au moins 5200 emplois additionnels sont dans le viseur. Les réductions pourraient concerner des sites en Amérique du Sud et dans d'autres régions où la rentabilité de Nissan est faible, affirme Kyodo.
Hiroto Saikawa, qui s'était distingué par son zèle à sabrer les coûts sous l'aile de Carlos Ghosn au tournant des années 2000, quand Nissan se trouvait au bord de la faillite, ressort donc la même méthode. In fine, les effectifs seront diminués de plus de 7% dans un groupe de 139'000 collaborateurs.
A la Bourse de Tokyo, ces coupes sombres ont été accueillies plutôt positivement par les investisseurs qui calculent surtout l'avantage financier: l'action a clôturé sur un gain de 0,95% à 781,6 yens.
«C'est une réponse appropriée à des ventes moroses», a commenté froidement auprès de l'AFP Janet Lewis, spécialiste du secteur chez Macquarie Capital Securities. «Les constructeurs automobiles sont en petite forme, et certains doivent réduire leur production», dit-elle, prenant en exemple les américains Ford et General Motors.
Pour Nissan, «une restructuration de grande échelle de l'ensemble de la compagnie, et pas seulement des usines, est inévitable», abonde Tatsuo Yoshida, analyste automobile chez Sawakami Asset Management.
«Sourd ou aveugle»
Le groupe, poursuit-il, se trouve en «surcapacité» en raison des ambitions passées de M. Ghosn, obnubilé par la première place mondiale.
Mais, dans un contexte difficile pour l'industrie, Nissan semble aujourd'hui à bout de souffle. La firme subit un net recul des ventes de ses voitures aux Etats-Unis et en Europe, sans compter l'impact sur son image de l'affaire Ghosn elle-même.
La compagnie nippone a largement contribué à déclencher la saga en menant l'enquête en interne sur son emblématique patron. Arrêté en novembre, le magnat déchu a depuis été inculpé à quatre reprises par la justice japonaise.
«Il n'y a pas de formule magique pour ressusciter Nissan», mais il faut un «leadership solide» et ce n'est pas le cas de M. Saikawa, qui reste à la direction faute d'autres candidats potentiels, selon l'expert.
Contesté par les actionnaires et peu soutenu en interne du fait de son ancienne proximité avec M. Ghosn, il risque «de ne pas tenir longtemps», pronostique M. Yoshida. Et «Nissan doit améliorer sans tarder la situation si le groupe veut maintenir ou renforcer sa position» dans une alliance aux bords de la rupture.
Les deux partenaires se sont déchirés ces derniers mois autour de l'avenir de leur union née en 1999: Renault, qui détient 43% de son capital, souhaite une intégration plus poussée tandis que Nissan veut à tout prix préserver son indépendance.
Jean-Dominique Senard, président du conseil d'administration de Renault et pilote de l'alliance, a en tout cas averti de sa vigilance. «Il faudrait être sourd ou aveugle pour ne pas comprendre que le redressement de Nissan est un sujet prioritaire», avait-il lâché dans une interview en juin.
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