La pression monteLevée des brevets sur les vaccins anti-Covid
ATS
6.5.2021 - 18:06
Keystone-SDA
06.05.2021, 18:06
L'annonce des Etats-Unis de son soutien à une levée des brevets sur les vaccins anti-Covid-19 jeudi a fait monter la pression et suscité les réactions les plus diverses. Elle a été saluée par les Nations-Unies, l'Union africaine et la Russie. Les Européens se sont dits prêts à discuter, alors que l'industrie pharmaceutique est toujours contre. La Suisse n'a pas réagi dans l'immédiat, mais est désormais sous pression à l'OMC.
«Les circonstances extraordinaires de la pandémie du Covid-19 appellent à des mesures extraordinaires», a déclaré mercredi la représentante américaine au Commerce Katherine Tai. «Pour mettre fin à cette pandémie, (l'administration américaine) soutient la levée» des brevets sur les vaccins, une mesure qui permettrait d'accélérer leur production et leur distribution à travers le monde.
Un porte-parole des Nations unies s'est réjoui d'une initiative qui «peut augmenter de manière importante l'approvisionnement du système Covax» de partage des vaccins avec les pays pauvres.
Le patron de l'Organisation mondiale de la Santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, a salué une «décision historique». La patronne de l'OMC Ngozi Okonjo-Iweala a fait savoir qu'elle «accueille chaleureusement» la proposition américaine.
La Russie soutient
La Russie, qui a homologué jeudi le Spoutnik Light, son vaccin contre le coronavirus en une seule dose, «soutiendrait une telle approche», a assuré le président Vladimir Poutine.
Pour John Nkengasong, directeur du Centre de contrôle et de prévention des maladies du continent, qui dépend de l'Union africaine, «l'histoire se souviendra de la décision prise par le gouvernement américain comme étant la bonne chose au bon moment pour combattre ce défi terrible».
La réaction est plus nuancée à Bruxelles. Jusqu'ici défavorable à pareille initiative, «l'UE est prête à discuter de toute proposition qui s'attaquerait à la crise de façon efficace et pragmatique. Nous sommes prêts à discuter de la façon dont la proposition américaine peut permettre d'atteindre cet objectif», selon la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen.
Big Pharma grogne
Pour l'heure, les brevets sont détenus essentiellement par des laboratoires américains globalement opposés à leur levée qui les priverait, selon eux, d'un retour sur des investissements coûteux.
La Fédération internationale de l'industrie pharmaceutique (IFPMA) a jugé «décevante» cette annonce, qu'elle qualifie de «réponse simple mais fausse à un problème complexe».
Stephen Ubl, le président de la fédération américaine (PhRMA), juge que cette décision pourrait «affaiblir davantage les chaînes d'approvisionnement déjà tendues et favoriser la prolifération des vaccins contrefaits». Selon lui, il faut plutôt traiter le problème de la distribution et de la disponibilité «limitée» des matières premières.
Même son de cloche du laboratoire allemand BioNTech, qui a estimé que la protection des brevets sur les vaccins anti-Covid n'était pas le facteur limitant la production et l'approvisionnement de son vaccin développé avec l'américain Pfizer.
«Les brevets ne sont pas le facteur limitant la production ou l'approvisionnement de notre vaccin. Ils n'augmenteraient pas la production mondiale ou l'approvisionnement de doses de vaccins dans le court et moyen terme», a déclaré à l'AFP le laboratoire.
Suisse sous pression
Dans l'immédiat, la Suisse n'a pas réagi à la décision américaine. Alignée sur la position des entreprises pharmaceutiques, Berne est restée jusqu'ici inflexible, à l'OMS comme à l'OMC, sur toutes les discussions de partage de savoir-faire ou de propriété intellectuelle.
L'ambassadeur suisse à l'OMC Didier Chambovey a expliqué à plusieurs reprises que Berne préférait des licences volontaires attribuées par les entreprises elles-mêmes. Il ne faut pas dissuader l'innovation, selon lui.
Mais la Suisse est désormais sous pression à l'OMC. Une nouvelle proposition est attendue dans les prochains jours.
Après l'annonce américaine, plusieurs ONG ou observateurs en appellent d'ailleurs directement à la Suisse. Avec l'UE, le Brésil, le Japon, la Grande-Bretagne, le Canada, l'Australie ou la Norvège, elle «doit oeuvrer maintenant», a notamment affirmé la directrice de Médecins Sans Frontières (MSF) aux Etats-Unis. Elle «doit décider de mettre la santé des populations avant les bénéfices pharmaceutiques».
Mais les discussions à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) promettent d'être encore intenses. Plusieurs réunions du comité de l'accord sur la propriété intellectuelle (ADPIC) sont attendues fin mai puis les 8 et 9 juin.
Situation catastrophique en Inde
L'annonce de Washington intervient alors qu'en Inde, des patients meurent aux portes des hôpitaux submergés et à court de réserves d'oxygène, de médicaments et de lits, malgré l'aide internationale.
Les autorités ont prévenu que le pays devait se préparer à «de nouvelles vagues» épidémiques. Selon les spécialistes, le pire serait encore à venir, avec un pic atteint seulement d'ici plusieurs semaines.
Le gouvernement refuse un confinement généralisé, mais plusieurs régions, dont la capitale New Delhi et les Etats du Bihar et du Maharashtra, se sont d'elles-mêmes confinées.
Covax patine
La levée temporaire des brevets sur les vaccins était notamment réclamée par l'Inde et l'Afrique du Sud.
Car la fracture se creuse entre les nations déshéritées, à la peine, et les pays riches. Le système de partage des vaccins avec les pays pauvres, qui se fournit principalement chez AstraZeneca, patine : il n'a livré que 49 millions de doses dans 121 pays et territoires, sur un objectif de deux milliards en 2021.