Pandémie «Nous devons garder à l’esprit que c’est à nous de payer la facture»

D'Anna Kappeler

13.5.2020

Un lingot d’or et une liasse de billets de 1000 francs dans une succursale de la Zürcher Kantonalbank.
Un lingot d’or et une liasse de billets de 1000 francs dans une succursale de la Zürcher Kantonalbank.
Keystone

Les responsables politiques souhaitent amortir les effets de la crise du coronavirus avec 57 milliards de francs. Il s’agit là d’une grosse somme d’argent évoquée dans un laps de temps réduit. Pour quelles conséquences? Un expert financier détaille la situation.

M. Spieler, lors de sa session spéciale, le Parlement a approuvé le plan de 57 milliards en réponse à la crise du coronavirus. Réfléchissons-y un instant: 57 milliards de francs. N’est-ce pas une somme qui dépasse l’entendement?

C’est énormément d’argent, en effet. Malheureusement, nous avons besoin de ce soutien de taille pour aider notre économie à se rétablir. Nous devons investir cet argent maintenant pour que les choses n’empirent pas. Si nous laissons des secteurs entiers tels que l’aéronautique faire faillite, nous aurons un problème bien plus important par la suite.

Pouvez-vous nous aider à visualiser ce que représente cette somme?

Un milliard, c’est mille millions. En multipliant cela, on se fait une idée de la somme d’argent dont nous parlons ici. Mais bien sûr, le montant reste quelque peu inconcevable tant il est énorme. Cela montre qu’on parle vraiment de beaucoup d’argent.

Voilà quelque chose d’encore plus cruel: malgré la somme d’argent incroyable que comprend le plan de sauvetage, celle-ci ne permet pas de résoudre le problème. Et ce, de deux points de vue. L’économie n’a pas encore repris. Et nous allons tous recevoir une facture salée pour ce plan de sauvetage. Il s’agit à l’heure actuelle d’une aide d’urgence. Nous devons en être conscients: tout cela n’est pas gratuit.



A propos de Martin Spieler
zVg

Martin Spieler est un expert financier indépendant. Il a été rédacteur en chef du «Sonntagszeitung» et du «Handelszeitung» pendant plus de dix ans. Aujourd’hui, Martin Spieler officie en tant que conseiller économique, siège dans des conseils d’administration et rédige notamment des textes spécialisés pour des publications en Suisse.

La Suisse est riche. Mais l’excédent de ces dernières années est-il suffisant pour réduire ces 57 milliards ?

Absolument pas.

Quand les dettes seront-elles de nouveau réduites – ou ne sont-elles pas si graves?

Heureusement, nos responsables politiques ont fait du bon travail par le passé avec le frein à l’endettement. Et la Confédération a accumulé des réserves ces dernières années – grâce au ministre des Finances. Par rapport à d’autres pays, nous sommes dans une position très décente en matière de dettes. Et pourtant, elles augmentent aussi chez nous. De plus, l’endettement augmente de façon spectaculaire dans le monde entier et a atteint des niveaux dangereux. Ne nous y trompons pas: l’endettement à l’échelle mondiale ne pourra plus jamais être réduit. Sans inflation ultérieure, cela n’ira pas.

Comment l’argent sera-t-il récupéré? En augmentant les impôts?

Les impôts vont probablement augmenter – sur un large front. Toutefois, je suis contre et je trouve cela contre-productif: en effet, l’économie et les citoyens ne doivent pas être accablés par une hausse des impôts, étant donné que dans ce cas, ils consommeront et investiront moins. L’argent doit rester si possible chez les citoyens.

Les impôts vont-ils également augmenter pour les personnes physiques?

Oui, l’appel aux augmentations d’impôts et autres prélèvements gouvernementaux va venir. Cela nous fera tous mal, car nous devons tous travailler dur pour payer les impôts. Une autre option consisterait à faire de économies plus tard – et à réduire encore un peu l’Etat fortement étendu. Mais l’expérience montre que cela n’arrivera pas.

«Je pense que la situation actuelle est plus grave que la crise financière de 2008-2009.»

Que se passerait-il sur le plan économique s’il n’avait pas été question du plan de réponse à la crise du coronavirus?

Nous aurions alors une vague dramatique de faillites. Néanmoins, il y aura encore des faillites maintenant et ce, malgré l’apport financier. En fin de compte, sans le plan de sauvetage, tout nous aurait coûté encore plus cher, car nous aurions endommagé l’économie dans son ensemble.

Liasses de billets de différentes devises dans une succursale de la Zürcher Kantonalbank.
Liasses de billets de différentes devises dans une succursale de la Zürcher Kantonalbank.
Keystone

Le 20 février, la Confédération a prévu un excédent de 0,6 milliard de francs pour 2020. Comment se portera le budget à la fin de l’année, selon vous?

Les chiffres seront dans le rouge, vraiment dans le rouge. Ce sera ainsi pour tous les pays. L’année 2020 est une exception. Il est donc d’autant plus important de revenir à la raison après la crise. Nous ne devons pas rester dans un état d’esprit dépensier. L’Etat ne peut pas tout défendre.

La facture du coronavirus est-elle unique dans l’histoire de la Suisse ou comparable à celle de la crise bancaire de 2008?

Je pense que la situation actuelle est plus grave que la crise financière de 2008-2009. Il n’empêche qu’heureusement, le secteur bancaire se porte bien aujourd’hui. Cette fois-ci, la crise vient de l’extérieur et non de l’économie elle-même, qui avait dérapé à l’époque.

«Il faudra du temps pour que l’économie se rétablisse.»

A l’époque, le Conseil fédéral avait débloqué six milliards pour UBS. Par ailleurs, la Banque nationale avait pris en charge plus de soixante milliards pour les créances douteuses d’UBS. La somme annoncée aujourd’hui permet-elle de mettre cette aide en perspective?

Ce que nous vivons en ce moment est historique, sans vouloir exagérer. Nous remarquons tous à quel point la vie change aujourd’hui. Il faudra du temps pour que l’économie se rétablisse. Cette situation est peut-être plutôt comparable à une crise économique mondiale comme celle de 1929.

Le plan de réponse à la crise du coronavirus changera-t-il notre perception des crédits? En septembre, nous voterons par exemple au sujet d’une enveloppe de six milliards de francs pour des avions de chasse. Cela semble être trois fois rien par rapport au plan de réponse à la crise du coronavirus…

Il ne faut pas mélanger les choses. D’un côté, c’est un enjeu de sécurité; ici, les électeurs jugent de la valeur qu’ils lui accordent. De l’autre, il est question d’un financement de départ. Nous devons maintenir les relations. L’Etat joue un rôle important dans la crise du coronavirus, car il s’agit d’une gestion de crise aiguë. Mais l’Etat doit désormais faire rapidement un pas en arrière, car cela touche la liberté des citoyens, mais aussi pour que les entreprises puissent à nouveau tourner librement.

«Chacun d’entre nous doit garder à l’esprit que c’est à nous de payer la facture.»

Cependant, à une échelle encore plus large, l’AVS est en proie à des difficultés financières en raison de l’évolution démographique. S’il y a manifestement tant d’argent, pourquoi l’AVS n’est-elle pas assainie en profondeur?

L’argent n’est pas disponible simplement, pas même maintenant en temps de crise. Chacun d’entre nous doit garder à l’esprit que c’est à nous de payer la facture. Et j’ai déjà l’impression que beaucoup de gens occultent ce fait pour le moment. Ils veulent encore de l’argent, ici et là. Mais c’est une illusion. En effet, qu’est-ce que l’Etat? C’est nous tous. Ainsi, l’argent public est notre argent à nous tous, celui de chaque contribuable. Par conséquent – et cela ne se produira ni aujourd’hui ni demain, mais à un moment donné dans l’avenir –, il restera moins d’argent dans la poche de chacun. Nous devons donc bien réfléchir: est-ce vraiment ce que nous voulons?

La réponse variera en fonction de la position politique de chacun. Quelle est la réponse économique à cette question?

Nous devons arrêter de penser que l’Etat doit payer au-delà de la gestion de crise pure et simple. La facture de toutes ces aides publiques arrivera – et elle nous fera encore mal plus tard.

Les images du jour

Retour à la page d'accueil