«La préfecture et la métropole se renvoient la balle»A Lyon, des nouveau-nés dorment dans la rue
ATS
22.8.2024 - 10:27
Moins de 20 jours après sa naissance, Aboubakar a passé la nuit, en pleine canicule, sur un trottoir lyonnais, dans le sud-est de la France. Veillant sur sa poussette, sa mère guinéenne, encore fragilisée par la césarienne, n'a pas fermé l'oeil.
Keystone-SDA
22.08.2024, 10:27
ATS
«J'avais très peur», confie à l'AFP cette femme de 26 ans, qui témoigne sous couvert d'anonymat pour ne pas compromettre sa demande d'asile.
Le lendemain, les services d'urgence du Samu l'ont orientée vers un centre d'hébergement collectif, mais elle devra le quitter la semaine prochaine. «Après, je ne sais pas ce qui va se passer...»
Comme elle, plusieurs femmes se sont retrouvées sans toit avec leur nouveau-né cet été à Lyon, troisième ville de France, en raison d'une crise structurelle de l'hébergement d'urgence dans le pays, exacerbée par de nouvelles politiques des institutions locales.
Maud Bigot, directrice opérationnelle du Samu Social, association d'aide aux démunis, n'avait jamais été obligée de laisser à la rue de si jeunes enfants.
Lundi, «j'ai rencontré un nourrisson de cinq jours devant la maternité avec sa mère, raconte-t-elle. On a pris leur numéro de téléphone pour les recontacter si une solution se dégage. Mais il n'y a rien.»
Quelques jours plus tôt, c'est un bébé de onze jours qui l'a profondément émue, si bien qu'elle s'est fendue d'un message sur le réseau LinkedIn: «Je pense à toi, tout petit être. Je me demande ce que c'est que de découvrir la rue depuis le bitume...»
«Alerte»
Le problème de fond est le même partout dans le pays: la crise du logement et, encore plus du logement social, font que les personnes entrées dans l'hébergement d'urgence n'en sortent pas. «Tout le système est grippé», résume Maud Bigot.
Mais à Lyon, deux décisions ont changé la donne pour les nouveau-nés.
D'un côté, la métropole de Lyon qui, comme les départements, est chargée d'héberger les femmes enceintes et les femmes isolées avec enfant de moins de 3 ans, a suspendu à la mi-juillet les nouvelles prises en charge.
«On a voulu lancer une alerte», explique Bruno Bernard, président écologiste de cette collectivité qui englobe Lyon et 57 autres communes.
Selon lui, la métropole a créé beaucoup de nouvelles places depuis 2020 mais «n'a pas les moyens financiers et humains» de remplacer les départements voisins et surtout l'Etat, officiellement chargé de loger les couples avec enfants.
Or «d'après les informations que l'on a, les femmes qui se sont retrouvées à la rue avec des nouveau-nés ne sont pas isolées» et devraient donc être prises en charge par l'Etat, accuse M. Bernard.
«Fatigue»
Selon les associations, une décision de la préfecture, qui représente l'Etat dans le département, a aggravé la situation.
Le soir et le weekend, quand les services de la métropole sont fermés, ceux de l'Etat se chargent de la «mise à l'abri immédiate» des publics vulnérables.
Jusqu'à cet été, il suffisait pour une femme d'être accompagnée d'un enfant de moins d'un an pour être considérée comme vulnérable. Désormais, elles doivent également être malades ou en danger, assure Maud Bigot.
Les critères ont été modifiés à cause de «la tension supplémentaire» créée par la décision de la métropole, justifie la préfecture, en assurant faire le maximum avec 8.000 places d'hébergement d'urgence.
«La préfecture et la métropole se renvoient toujours la balle», relève Juliette Murtin du collectif Femmes à la rue. «Mais à la fin, c'est les familles qui paient.»
Comme celle du petit Kader, né le 11 juillet, et de ses quatre frères, qui ont bien failli dormir à la rue le 28 juillet.
Après avoir été obligés de quitter l'hôtel payé jusque là par la métropole, «on est resté dehors jusqu'à 01H00 du matin avec les enfants et mon mari», explique leur mère, une Guinéenne de 34 ans. Au milieu de la nuit, une femme touchée par leur situation les a hébergés à l'hôtel.
Depuis, la famille est accueillie chez un autre particulier, mais temporairement. «Ça me fatigue tellement, quand je m'assois, je pleure», confie la mère croisée dans un parc. «Je ne sais pas comment sortir de cette situation...»