La vie parmi les morts A Manille, des milliers de personnes vivent dans un cimetière

Christoph Sator, dpa

25.5.2018

Le plus grand cimetière de Manille est loin de n'abriter que des défunts: plusieurs milliers de familles pauvres vivent également sur place. Beaucoup se sont même installés juste à côté de la tombe de leurs parents.

Mercy Silva vit encore sous le même toit que sa mère. Aux Philippines, cela n'a rien d'exceptionnel pour une femme de 43 ans. Dans cet État insulaire extrêmement catholique, la famille est plus importante que nulle part ailleurs. Jusqu'ici, tout va bien: Mercy vit certes avec sa mère, mais sa mère n'est plus à ses côtés. Mercedes Z. Carreon (1953-2010) est morte depuis plus de huit ans.

Mercy Silva partage la tombe de sa mère, située au sein du cimetière nord de Manille, le plus grand de la capitale. Le matelas sur lequel elle dort la nuit n'est séparé du cercueil que par une fine plaque de marbre. «On s'y habitue», assure-t-elle. En outre, deux douzaines d'autres personnes habitent également dans le caveau qui appartient à la famille depuis soixante ans. Des hommes et des femmes, jeunes et vieux, vivants et morts.

Au Cementerio del Norte, cette situation n'a rien d'extraordinaire. Outre le million de défunts, dont plusieurs présidents, qu'abrite le cimetière, plus de 5000 personnes encore en vie ont également élu domicile sur place. Manille souffre d'une pénurie chronique de logements. Sur les 13 millions d'habitants que compte la métropole, beaucoup dorment dans des baraques en tôle, sous des ponts ou encore le long de grandes artères. Ceux qui vivent dans les cimetières sont considérés comme les plus pauvres.

Un caveau aménagé en «cybercafé»

Cependant, cela ne veut pas dire qu'il est impossible d'y mener une vie normale: alors qu'une femme cuit des poulets sur une des tombes, une autre fait sécher son linge juste à côté. Installé dans un des caveaux du cimetière, un vieil homme vend du shampoing sec et des nouilles instantanées. Un peu plus loin, un jeune homme fait sa sieste sur une dalle en pierre, sous la croix de Jésus. Dans tous les coins, on entend résonner le son de postes de télévision. Le courant est fourni par un générateur, mais il n'y a pas d'eau courante.

Dans l'obscurité d'une autre tombe, on trouve le «cybercafé» du cimetière. Là; Baldo Aguinaldo joue à «League of Legends», un jeu de bataille très populaire, sur un vieil ordinateur. Le but est de tuer le plus d'adversaires possible. La demi-heure coûte cinq pesos, même pas dix centimes. L'adolescent de 18 ans a toujours vécu ici. Avec son père, il gagne sa vie en tant que fossoyeur. «Je suis bien ici», déclare-t-il. «Nous formons une belle communauté.»

Et il n'est pas le seul à le penser. «Nous sommes mieux dans notre cimetière que dans un bidonville. Et nous nous sentons également plus en sécurité», affirme Rachel Hilario, une trentenaire sympathique avec des mèches blondes dans les cheveux et une grosse montre en plastique au poignet. La femme de 32 ans vit ici avec son compagnon depuis deux ans. «Au début, j'avais peur, je me réveillais sans cesse la nuit, mais au bout d'un an, on finit par s'habituer.»

De riches Philippins ont autorisé les deux jeunes gens à loger dans leur caveau familial. En contrepartie, ils entretiennent les lieux. Sur le bloc de marbre renfermant les deux cercueils, au-dessus des noms des défunts et du sigle «R.I.P.» («Repose en paix»), on peut désormais voir un matelas recouvert d'un drap Hello Kitty. Même les coussins, la montre et le ventilateur sont à l'effigie du célèbre petit chat blanc. Les deux squatteurs ont peint les murs en rose, mais prennent la peine d'enlever leur matelas lorsque les propriétaires viennent se recueillir sur la tombe.

Rachel et son compagnon gagnent leur vie en fabriquant des pierres tombales colorées, qu'ils vendent au prix d'à peine 25 euros pièce. Les bons jours, ils en réalisent une demi-douzaine. Après tout, ce cimetière ouvert en 1904 est toujours en activité. En semaine, quelque 20 défunts en moyenne sont enterrés sur place. Ce nombre passe à 60 le samedi et à 100 le dimanche. À l'arrivée de cortèges funéraires, les occupants du cimetière se retirent dans le calme — par respect pour les défunts et pour leurs proches.

«C'est mon chez-moi»

Cependant, le Cementerio del Norte est loin d'être un endroit idyllique. Ici aussi, des crimes sont commis. Et des personnes sont tuées: ces derniers mois, au moins 10 trafiquants de drogue avérés ou présumés ont été tués au cours de descentes de police, effectuées dans le cadre de l'impitoyable guerre antidrogue menée par le président Rodrigo Duterte. Selon certaines sources, ils vendaient du shabu, comme est appelée la méthamphétamine, la drogue du pauvre, aux Philippines.

Les autorités ont déjà tenté à plusieurs reprises d'expulser les occupants du cimetière. Sans véritable succès pour l'instant. Nombreuses sont les familles à revenir sur les lieux après avoir intégré leurs nouveaux logements. Rachel déclare: «Parfois, quand je leur raconte que je vis dans un cimetière, les gens ont une réaction assez humiliante. Mais au moins, je n'ai aucun loyer à payer ici.»

Mercy Silva, qui dort chaque nuit aux côtés de sa défunte mère, ne voudrait pas vivre ailleurs. «C'est mon chez-moi. Je connais tout le monde ici. Ma grand-mère et ma maman sont nées ici, et moi aussi.» Mercy s'interrompt alors un instant. Sa mère, qui n'a pas eu le temps de vieillir, la regarde depuis la photo ornant la pierre tombale. «Et quand je mourrai à mon tour, je serai enterrée ici. Et c'est très bien comme ça.»

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