L'Abbaye de Saint-Maurice (VS) a failli dans la gestion des abus sexuels qu'elle a abrités au cours des dernières décennies. Chargé de faire la lumière sur ce passé, un groupe de travail indépendant a constaté des «dysfonctionnements importants». Ce rapport choc mentionne des agressions sexuelles, viols et avortements forcés pour les cas les plus graves.
Abbaye de St-Maurice : une gestion «déficiente» des abus sexuels
L'Abbaye de Saint-Maurice (VS) a failli dans la gestion des abus sexuels qu'elle a abrités au cours des dernières décennies. Chargé de faire la lumière sur ce passé, un groupe de travail indépendant a constaté des «dysfonctionnements importants».
20.06.2025
Ce groupe, dirigé par le procureur général neuchâtelois Pierre Aubert, a présenté vendredi son rapport à la presse à Fribourg. Se basant sur les archives et des témoignages, il a listé «un nombre non négligeable» d'actes de violence sexuelle en tout genre, commis durant la période 1950-2022.
Confrontées à ces violences, l'Abbaye a adopté «une posture défensive» pour préserver sa réputation. Ses responsables ont tantôt tenté de «camoufler» les faits, par exemple en déplaçant des chanoines incriminés, tantôt essayé de «banaliser» ou «minimiser» ces abus.
Le groupe de travail souligne aussi le «laxisme» en matière de surveillance ou encore «un encadrement insuffisant». Ce «climat» a pu favoriser «des comportements inadmissibles» et la récidive de certains chanoines, pourtant mis en cause à plusieurs reprises.
Trente abuseurs
Le groupe de travail a dénombré 67 situations de violences sexuelles et au moins 68 victimes, dont 57 mineures. Ces abus ont été attribués à 30 hommes, chanoines ou autres personnes liées à l'Abbaye.
Ce décompte ne permet toutefois pas de tirer des conclusions sur la réalité des violences. En raison du «silence des sources», archives absentes ou personnes préférant se taire, il est «hautement probable que beaucoup de situations» aient échappé au groupe de travail, reconnaît-il.
Il ajoute qu'il n'est pas toujours possible d'affirmer que les faits se sont exactement produits comme ils ont été décrits.
Agressions sexuelles, viols et avortements forcés
Les abus rapportés sont divers. La majorité consiste en des sous-entendus sexuels, des attouchements, des actes d'exhibitionnisme ou encore des cas de séduction dans un rapport d'autorité.
Pour les cas les plus graves, le groupe de travail mentionne des agressions sexuelles, viols et avortements forcés.
Ces violences se sont principalement produites à l'internat ainsi que lors d'activités pastorales ou colonies de vacances.
Sur le plan pénal, le groupe de travail n'a identifié aucun cas qui n'aurait pas déjà été jugé ou qui ne serait pas prescrit. Une affaire reste en cours, qui ne concerne toutefois pas un chanoine mais un laïc relié à l'Abbaye.
A la connaissance du groupe de travail, cinq condamnations contre trois chanoines et un novice ont été prononcées depuis les années 1970. La plus grande partie des affaires a été classée pour insuffisances de charges ou en raison de la prescription.
«Tumeur cancéreuse»
Il a fallu des révélations dans les médias en 2023, notamment dans «Mise au point» de la RTS, pour que l'Abbaye charge Pierre Aubert de mener l'enquête aux côtés de chercheuses de l'Université de Fribourg.
Le groupe de travail a salué la décision de l'Abbaye d'avoir commandé cette enquête et de vouloir aborder «autrement» la question des violences sexuelles, «après une longue absence de volonté de comprendre.»
Pierre Aubert a toutefois tenu à préciser que l'histoire de Saint-Maurice ne devait pas se résumer à ce seul rapport, tout comme «la tumeur cancéreuse ne doit pas faire oublier le corps sain», a-t-il imagé.
L'Abbaye n'avait «pas vu ou pas voulu voir»
Egalement présent devant la presse, le chanoine Antoine Salina s'est exprimé au nom de l'Abbaye, évoquant «un rapport choc» et «des souffrances indicibles».
Exprimant «un pardon sans condition» aux victimes, il a reconnu que l'Abbaye n'avait «pas vu ou pas voulu voir», qu'elle s'était «dérobée» durant ces décennies d'abus. «Nous avons détourné le regard et laissé le silence prendre la place de la justice», a-t-il affirmé.
Concernant les 30 auteurs d'abus, des mesures «plus ou moins radicales» ont été prises à l'encontre de ceux encore en vie. Certains vivent encore au sein de l'Abbaye, mais ont été «éloignés de toute vie publique», a-t-il dit.
Un plan d'action a été décidé par le Conseil abbatial afin que Saint-Maurice ne soit plus «un lieu d'ombre et de lumière», a poursuivi le chanoine. Ces mesures concernent notamment l'accueil des victimes, la refonte de la gouvernance, la prévention ou encore le travail de mémoire.
Interrogé à plusieurs reprises sur l'avenir du Père-abbé Jean Scarcella à la tête de l'Abbaye, il a indiqué qu'il restait «à ce jour légitime».