Alsace L'usage de drones pour surveiller les migrants suspendu

ATS

16.6.2025 - 18:18

Le tribunal administratif de Strasbourg a suspendu lundi en référé le dispositif de surveillance de routes par des drones militaires élaboré par la préfecture du Bas-Rhin pour «lutter contre l'immigration clandestine». Il y voit une «atteinte grave» à la vie privée.

La juge a déploré qu'aucune précision n'ait été donnée "sur le champ de vision des drones et leur portée" (image d'illustration).
La juge a déploré qu'aucune précision n'ait été donnée "sur le champ de vision des drones et leur portée" (image d'illustration).
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Keystone-SDA

Un drone qui conjugue «endurance, furtivité et célérité indispensables aux unités blindées sur le champ de bataille». Tel est le descriptif fait par l'armée de Terre de l'eBee Vision, l'un des deux types de drones qui avaient été autorisés par le préfet Jacques Witkowski pour surveiller des autoroutes et routes départementales alsaciennes jusqu'au 26 juin.

L'autre drone, le modèle Anafi USA de Parrot, permet de lire une plaque d'immatriculation à 130 mètres ou d'observer une personne à deux kilomètres de distance, selon le constructeur. Depuis jeudi, loin des champs de bataille, ces appareils pouvaient être utilisés par les forces de sécurité pour surveiller les principaux axes routiers des arrondissements de Saverne et Molsheim.

Arguments insuffisants

Mais la juge des référés a suspendu lundi le dispositif de surveillance, estimant qu'il portait «une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée». Elle a pointé plusieurs insuffisances dans l'argumentaire exposé par la préfecture pour justifier le recours à ces appareils militaires.

«Le préfet n'a donné aucune précision sur le champ de vision des drones et leur portée alors qu'ils peuvent voler jusqu'à la hauteur réglementaire de 120 m, ni sur la précision des images et des enregistrements recueillis, ni enfin sur les capacités des drones tant en matière d'identification des véhicules que des personnes», a souligné la magistrate.

Elle a également mis en avant l'absence de circonstances particulières qui rendraient nécessaire une telle surveillance à grande échelle, rappelant que la préfecture n'apportait aucune donnée «portant sur une période suffisamment significative de nature à démontrer une hausse réelle des flux migratoires dans le Bas-Rhin».

100 km2 potentiellement surveillés

«On nous dit que c'est pour surveiller les frontières, mais on ne surveille pas une frontière quand on se trouve à plus de 20 km», avait souligné à l'audience lundi matin David Poinsignon, avocat de l'Association de défense des libertés constitutionnelles, du Syndicat de la magistrature (SM) et du Syndicat des avocats de France (SAF),pour réclamer la suspension de l'arrêté.

Il avait rappelé qu'outre les routes, la mesure autorisait la surveillance des «abords» de villes et villages entiers, sur une surface potentiellement supérieure à «100 kilomètres carrés».

Le texte de l'arrêté affirmait au contraire que le recours à des drones était rendu nécessaire parce qu'il serait «matériellement impossible de prévenir le franchissement irrégulier de la frontière (...) sans disposer d'une vision aérienne dynamique permettant une visualisation grand angle».

Un argumentaire «très léger, alors que les implications en termes de droits et libertés sont vertigineuses», s'était indigné Me Poinsignon. «On met des moyens militaires pour de la surveillance civile, c'est particulièrement grave».

Sollicitée après la décision du tribunal administratif, la préfecture du Bas-Rhin n'a pas donné suite dans l'immédiat.