ProcèsAttentat de Strasbourg: un chauffeur de taxi pris en otage
ATS
10.2.2024 - 08:40
«Ma dernière course, c'était le 11 décembre 2018»: Ce jour-là, ce chauffeur de taxi est pris en otage par Chérif Chekatt qui vient de tuer cinq personnes et d'en blesser onze autres à Strasbourg. Depuis, cette victime estime avoir «tout perdu».
Keystone-SDA
10.02.2024, 08:40
ATS
Cet Alsacien de 53 ans, aujourd'hui président de l'association de victimes AVA, attend avec impatience le procès qui doit débuter le 29 février à Paris et se replonger dans l'attentat commis en plein marché de Noël à Strasbourg. Même si le principal protagoniste ne répondra pas de ses actes, tué par les forces de l'ordre après 48 heures de traque.
Pour le chauffeur, tout bascule ce 11 décembre à 19h58, lorsque Chérif Chekatt monte dans son taxi. Débute un huis clos terrifiant avec un jeune homme surexcité et armé, un face-à-face qu'il raconte dans un livre, «15 minutes pour sauver ma vie», écrit avec le journaliste Frédéric Ploquin.
«Ce soir-là, je ne devais pas travailler, finalement j'ai décidé d'y aller et ça tombe sur moi», retrace-t-il. Chauffeur de taxi à mi-temps, il vient de déposer des eurodéputés italiens dans le quartier touristique de la Petite France lorsqu'il croise le «regard noir» d'un homme de 29 ans.
«Finir le travail»
Celui-ci s'engouffre dans le véhicule et «m'ordonne de partir». Commence une conversation tendue. Le passager transpire, exhibe une arme à feu et prévient le chauffeur: «Si tu fais le malin, je t'allume». Il l'informe qu'il a tué «dix personnes» (en réalité cinq) et lui hurle dessus.
«Son but, c'est d'aller au commissariat et de finir le travail», comprendre: tuer des policiers, explique le chauffer. Ce dernier, ancien karatéka et ex-agent de sécurité, garde son sang-froid et tente de l'amadouer. Il explique qu'il est musulman et prononce quelques mots en arabe. Il lui répète: «Je ne te juge pas, c'est entre toi et Dieu», raconte-t-il dans son livre.
Voyant son passager blessé – il a été touché par un tir de militaires – le chauffeur de taxi le convainc de s'arrêter pour le soigner. Les deux hommes sortent. Tandis que Chérif Chekatt prend de l'eau et des mouchoirs, le chauffeur profite d'un «moment d'inattention», remonte dans le taxi et démarre en trombe. Quelques secondes plus tard, il est au commissariat pour donner l'alerte.
Le preneur d'otage lui avait confié que les gendarmes avaient perquisitionné chez lui le matin même: en livrant cette information-clé, le chauffeur permet aux forces de l'ordre de l'identifier.
Stress post-traumatique
Le chauffeur de taxi quitte finalement le commissariat à 04h00 du matin, éprouvé par la prise d'otages et les heures de questions des policiers, sa chemise encore souillée du sang de l'assaillant. Indemne mais meurtri psychologiquement. «J'en paye encore le prix fort aujourd'hui», commente le quadragénaire, en arrêt maladie depuis cinq ans.
«Je suis devenu un mort-vivant. Je tourne en rond à la maison, je prends des médicaments pour dormir et le matin il me faut deux heures pour me réveiller», témoigne cet homme à la carrure imposante et au crâne chauve.
«J'ai tout perdu: le taxi, la maison, mon commerce. J'ai des enfants qui sont partis parce qu'ils ne comprenaient plus leur père», égrène la victime, qui vendait des épices avec sa fille.
Au stress post-traumatique, à la dépression et aux cauchemars s'ajoute un sentiment de culpabilité. Terrifié à l'idée que Chérif Chekatt continue son périple meurtrier après qu'il l'a laissé en pleine rue, le chauffeur confie qu'il «n'a pas dormi» jusqu'à sa «neutralisation».
A quelques semaines du procès, il a le sentiment que l'attentat de Strasbourg a été «oublié» et regrette un manque de reconnaissance. Aujourd'hui, il s'investit dans la défense des victimes à travers son association, qui compte 65 membres.