Afghanistan Au marché de l'opium, les prix s'envolent sous les talibans

ATS

7.10.2021 - 08:20

Dans un marché du sud de l'Afghanistan, les vendeurs sourient à côté de leurs sacs d'opium. Alors que le pays s'enfonce dans la misère, le prix de sa drogue-phare s'est envolé depuis le retour des talibans au pouvoir.

Keystone-SDA

«On sait que ce n'est pas bien, que c'est interdit par l'islam. Mais on est obligé, sinon on ne peut pas gagner notre vie. Ici, on n'a pas d'eau, pas de graines. On ne peut pas faire pousser grand-chose d'autre», explique un paysan.
«On sait que ce n'est pas bien, que c'est interdit par l'islam. Mais on est obligé, sinon on ne peut pas gagner notre vie. Ici, on n'a pas d'eau, pas de graines. On ne peut pas faire pousser grand-chose d'autre», explique un paysan.
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Assis en tailleur sur une bâche poussiéreuse, Amanullah (nom d'emprunt) plonge son couteau dans un grand sac en plastique, où dorment 4 kilogrammes d'une boue marron. Il en extrait une boulette, qu'il place dans une coupelle posée sur la flamme d'un réchaud.

La résine de pavot bout et se liquéfie, mais reste homogène: l'opium est pur. Il n'a pas été coupé avec des additifs chimiques pour faire masse.

À ses côtés, son compère Mohammad Masoom esquisse un sourire: ils vont pouvoir le vendre au prix fort, sur ce marché en plein air d'Howz-e-Madad, où s'écoule une infime part de l'énorme production afghane d'opium, de loin la première au monde.

Prix triplé

Depuis le retour au pouvoir des talibans à la mi-août, le prix de l'opium, transformé en héroïne dans le pays ou au Pakistan et en Iran tout proches, pour ensuite nourrir le marché européen notamment, a triplé.

Il atteint aujourd'hui sur ce marché 17'500 roupies pakistanaises (PKR) le kilogramme (94 francs), explique Mohammad, sous la toile tendue sur quatre piquets, qui protège leur échoppe de fortune du soleil brûlant de la plaine aride.

À quelques kilomètres de là, toujours dans la province de Kandahar, Zekria (nom d'emprunt), confirme l'envolée récente des prix. Ce fermier vend aujourd'hui son opium, d'une meilleure qualité que celui de Mohammad, plus de 25'000 PKR le kilogramme, contre 7500 PKR avant août.

Météorologie, sécurité, remous politiques, fermetures de frontières: nombre d'éléments peuvent faire varier très rapidement le cours de l'opium. Ils alimentent chaque jour les discussions à Howz-e-Madad, où des centaines de producteurs, vendeurs et clients, barbes noires et blanches enturbannées, devisent autour d'un thé vert entre deux alignements de sacs d'opium ou de haschich.

Selon eux, c'est une déclaration du porte-parole du régime taliban, Zabihullah Mujahid, le 17 août dernier, qui a fait s'envoler les prix. Il avait alors assuré au reste du monde que le pays ne produirait plus de stupéfiants.

Équation impossible

Prudent, il avait ajouté que son pays aurait pour cela «besoin de l'aide internationale» pour fournir aux paysans de quoi vivre à la place de l'opium.

La rumeur d'une interdiction imminente de la culture du pavot s'est répandue comme une trainée de poudre dans la province de Kandahar, à la fois bastion historique des talibans, grosse productrice d'opium et plaque tournant du trafic. Les acheteurs anticipent une pénurie d'opium, «et cela a fait bondir les prix», explique Zekria.

À 40 ans, dont 20 passés à faire pousser du pavot, comme son père et son grand-père, il ne croit pas que les talibans «puissent éradiquer tout l'opium en Afghanistan».

En 2000, le premier régime taliban avait interdit la culture de l'opium, décrétée «haram» (contraire à la loi islamique) et fait baisser la production, avant d'être renversé par les Occidentaux, qui ont, eux aussi, cherché à l'éradiquer.

Mais année après année, la production afghane d'opium reste très élevée. En 2020, le pays a produit 6300 tonnes sur 224'000 hectares, selon l'ONU. L'équation semble impossible: éradiquer une production qui génère jusqu'à deux milliards de dollars de revenus dans l'un des pays les plus démunis au monde.

«Gagner notre vie»

Les paysans du sud, eux, ne se posent pas la question. «On sait que ce n'est pas bien, que c'est interdit par l'islam. Mais on est obligé, sinon on ne peut pas gagner notre vie. Ici, on n'a pas d'eau, pas de graines. On ne peut pas faire pousser grand-chose d'autre», explique Mohammad.

«Sans l'opium, je ne couvre même pas mes coûts», abonde Zekria, qui a une famille de 25 membres à nourrir. «On n'a pas d'autre travail, pas d'autre solution si la communauté internationale ne nous aide pas».

Mais l'aide internationale n'a jusqu'ici rien donné, malgré les sommes pharaoniques (8,6 milliards de dollars) investies par les États-Unis ces vingt dernières années. Au même moment, les talibans s'accommodaient de l'opium qui finançait leur rébellion contre les Occidentaux. En 2016, ils en tiraient «la moitié de leurs revenus» selon l'ONU.

Revenus au pouvoir, les islamistes avancent à pas de loup, au moment où la famine menace un tiers de la population, toujours selon l'ONU. Dans son bureau de Kandahar, un des responsables provinciaux, le mollah Noor Mohammad Saeed, rappelle à l'AFP que «produire de l'opium est proscrit par l'islam et mauvais pour les gens».

Mais il se garde bien de confirmer une prochaine interdiction, renvoyant, lui aussi, la balle à la communauté internationale: «S'ils sont prêts à aider les paysans à arrêter l'opium, alors nous l'interdirons».