Paraplégique et acrobate «C'est comme si l'univers m'avait redonné mon corps» 

Interview: Valérie Passello/Réalisation: Loïc Reffet

5.8.2022

Revenir au cirque en tant qu'acrobate: en fauteuil roulant à la suite d'un accident de trapèze, Silke Pan n'osait pas en rêver. Et pourtant, c'est désormais chose faite. Rencontre avec une artiste pour qui l'appel de la piste aux étoiles est plus fort que tout.

Silke Pan renaît au cirque

Silke Pan renaît au cirque

Revenir au cirque en tant qu'acrobate: en fauteuil roulant à la suite d'un accident de trapèze, Silke Pan n'osait pas en rêver. Et pourtant, c'est désormais chose faite.

05.08.2022

Interview: Valérie Passello/Réalisation: Loïc Reffet

5.8.2022

Enchaînée à son fauteuil, elle regarde le podium avec émerveillement: «c'est là que je suis à ma place», assure Silke Pan. Et en quelques minutes, dans le numéro qu'elle présente actuellement au cirque Helvetia, la voilà qui virevolte sur ses bras, faisant presque oublier au spectateur que le bas de son corps ne répond plus depuis bien longtemps. 

Ce chemin ne prend qu'un instant dans ce numéro autobiographique, mais il aura fallu un parcours de quatorze années pour parvenir à cet incroyable résultat.

En 2007, la carrière de celle qui était artiste professionnelle subit un coup d'arrêt brutal: «Je travaillais alors comme contorsionniste et trapéziste dans un parc d'attraction en Italie. À la fin de la saison, lors d'un entraînement, je suis tombée. Et là je me suis brisé deux vertèbres et aussi d'autres choses... mon corps était assez fracassé. Depuis, je suis paraplégique», raconte Silke Pan.

À la sortie de l'hôpital, les médecins lui expliquent ce à quoi elle va devoir renoncer. Le cirque, c'est terminé. L'artiste doit en faire le deuil: «Durant toutes ces années, cette passion était toujours au fond de moi, mais je pensais que c'était impossible. Comme je ne voulais pas me faire de peine, j'ai 'mis des œillères' et j'ai regardé en avant en me consacrant à d'autres choses».

«L'accident était un rocher que je devais gravir sur le chemin de ma vie»

Silke Pan

Acrobate

Loin de se laisser aller, l'athlète se lance alors dans une carrière de hanbike, le vélo tracté à la force des bras. Elle brille rapidement en compétition et relève des défis époustouflants, comme l'ascension de 13 cols alpins, dans le cadre de son projet «La Suisse à bout de bras».

Si elle s'y investit à 100%, Silke Pan reconnaît néanmoins: «J'ai appris à aimer le paracyclisme, même si ce n'était pas du tout ma passion». Mais là encore, tout s'arrête soudain en 2020: avec le Covid, les compétitions sont annulées.

«Il y a eu des larmes de joie»

Toujours en quête de nouveaux défis, cette femme de caractère garde le sourire. Elle profite du temps offert par la pandémie pour «laisser libre cours à son imagination», dit-elle. Ainsi, elle décide de vérifier si elle parvient toujours à faire des pompes à la verticale, comme elle le faisait jadis, avant son accident.

«Là j'ai découvert que mes cellules n'avaient pas oublié ses sensations de recherche d'équilibre sur les mains. J'avais demandé à mon mari Didier de me tenir et lui a eu l'idée de sangler toutes les parties paralysées de mon corps à un snowboard pour les rigidifier», se souvient-elle, radieuse. 

Dates et lieux de la tournée d'été du cirque Helvetia

  • Aigle le 6 août à 15h et 18h
  • Aigle le 7 août à 15h
  • Morgins le 9 août à 20h
  • Morgins le 10 août à 15h
  • Villars-sur-Ollon le 12 août à 18h
  • Villars-sur-Ollon le 13 août à 15h et 18h
  • Villars sur Ollon le 14 août à 15h

En moins de dix minutes, elle s'aperçoit qu'elle a retrouvé ses facultés: «À ce moment, il y a eu des larmes de joie, j'ai eu l'impression de revivre, de renaître. C'est comme si l'univers m'avait redonné mon corps. Comme si, le temps du numéro, il n'y avait plus de handicap».

«Le bonheur vient de nous-mêmes, de notre attitude envers la vie»

Silke Pan

Acrobate

En voyant ses progrès sur les réseaux sociaux, la directrice de l'Ecole de cirque de Lausanne la contacte: elle propose à l'artiste de venir récupérer son podium, celui qu'elle lui avait donné au moment de tirer un trait sur son passé. «Là aussi ça a été une intense émotion. Mon podium était plein de poussière, mais le retrouver m'a transporté dans une autre dimension. J'étais 'à la maison', comme si j'étais retournée dans le passé», se souvient-elle.

Amour inconditionnel et éternel

Oui, concède Silke Pan, le cirque lui a tout pris. Mais elle n'a jamais cessé de l'aimer. «Ca a toujours été un appel de mon intérieur, une vocation, c'était plus fort que tout. Je savais que j'étais à ma juste place. L'accident était un rocher que je devais gravir sur le chemin de ma vie. Mais ce chemin a toujours été dans le spectacle. Malgré la douleur et les épreuves, je n'ai jamais regretté d'être trapéziste». 

Se lancer dans un numéro d'acrobate lorsque l'on est paraplégique n'est pas sans risque. En cas de chute, Silke Pan ne pourrait pas se rattraper sur ses jambes. Elle le sait. Elle travaille beaucoup sur la gestion du stress, la confiance, la sensation d'être alignée, les émotions. Pour les performances les plus périlleuses de son numéro, elle s'assure avec une longe de sécurité.

«Je ne veux pas être négligente avec le destin, confie l'acrobate. Je suis reconnaissante, j'éprouve de la gratitude pour tout ce que je peux encore faire. Et je ne veux pas tenter le diable». Jamais loin d'elle, son mari Didier Dvorak participe au numéro et contribue aussi à son apaisement et à sa concentration.  

Toujours plus près des étoiles

Pour Silke Pan, des portes commencent à s'ouvrir, elle reçoit des propositions de travail pour ce qu'elle appelle «sa deuxième carrière artistique». Elle sera prochainement invitée d'honneur du Salieri Circus Award, en Italie, où elle se produira dans un nouveau numéro en duo avec un danseur italien.

«Je me réjouis! En même temps c'est un défi, mais j'aime ça. Si la vie était trop facile ça m'ennuierait», déclare l'artiste, fidèle à elle-même.

Son parcours est déjà une leçon de vie. Et Silke Pan partage toujours volontiers son expérience: «Le salut ne vient pas de l'extérieur. Le bonheur vient de nous-mêmes, de nos choix, de notre attitude envers la vie. Il faut savoir apprécier ce que l'on a et le faire fructifier. Contrôler nos émotions sans les brimer, savoir se nourrir de tout ce qui est beau dans la vie pour ne pas faner, moisir de l'intérieur. Et puis, il faut une certaine discipline personnelle», affirme-t-elle.