Réseaux sociaux Au Nigeria, la police islamique tente d'amadouer les influenceurs

AFP

28.11.2023 - 18:28

Dans le nord du Nigeria, la police islamique joue la carte de la pédagogie avec les influenceurs pour chasser les «contenus immoraux» des réseaux sociaux. Une nouvelle attitude qui tranche avec sa répression habituelle, mais peine à convaincre.

En janvier dernier, Murja Kunya, une jeune star de TikTok, avait été arrêtée avec une dizaine d'autres célébrités pour «conduite immorale sur les réseaux sociaux susceptible de corrompre la jeunesse».

Interpelée dans un hôtel de Kano, principale ville du nord, alors qu'elle réservait des chambres pour ses invités en prévision d'une fête d'anniversaire très médiatisée, elle avait été placée en détention provisoire pendant deux semaines, avant d'être libérée.

L'influenceuse de 24 ans, très populaire chez les jeunes Haoussas qui peuplent le nord du pays, avait été condamnée à trois semaines de travaux d'intérêt général, une peine qu'elle a purgée en faisant le ménage dans un grand hôpital de la ville.

Début novembre, changement d'ambiance: Murja Kunya est invitée avec des dizaines d'autres influenceurs à une réunion publique organisée par la police islamique (Hisbah) de Kano pour les «sensibiliser aux effets négatifs des contenus immoraux» qu'ils publient en ligne, en particulier sur TikTok, précise à l'AFP le directeur général de la Hisbah, Abba Sufi.

La jeune femme, qui revendique près d'un million de followers sur les réseaux sociaux, y a fait impression en y venant vêtue d'un voile (hijab) habituellement porté par les femme dans le nord, majoritairement musulman.

Un contraste saisissant par rapport aux vidéos qu'elle a l'habitude de publier – où elle paraît souvent tête nue et portant des vêtements à la mode et s'exprime avec un langage parfois grossier – qui lui ont valu la notoriété, et la colère de la Hisbah.

«La carotte et le bâton»

«La rencontre avec Murja Kunya et d'autres Tiktokers marque un changement de stratégie de la Hisbah face aux contenus immoraux qu'ils publient en ligne. Il est préférable de faire preuve de compassion à l'égard d'une personne que l'on souhaite réformer plutôt que de la vilipender et de la stigmatiser», explique M. Sufi.

Il ajoute que le gouvernement de l'État de Kano est prêt à aider Mme Kunya et ses collègues à changer de profession, y compris en soutenant financièrement ceux qui souhaiteraient reprendre leurs études ou lancer des entreprises.

Pour Abdallah Uba Adamu, professeur d'anthropologie et de culture populaire à l'université Bayero de Kano, cela ne suffira pas à freiner les jeunes célébrités.

«La Hisbah peut utiliser le bâton, la carotte, mais cela ne pourra jamais empêcher les gens de faire ce qu'ils veulent pour survivre, parce qu'ils comptent sur les réseaux sociaux pour vivre», explique-t-il à l'AFP.

Pour les influenceurs, la réunion a probablement été perçue comme un autre moyen d'obtenir plus de followers, «ce qui fait partie de leur mise en scène en ligne», note-t-il.

Kano est l'un des 12 Etats à majorité musulmane du nord du Nigeria, où la charia (loi islamique) et ses tribunaux fonctionnent parallèlement au droit civil et pénal.

Sa capitale Kano, deuxième ville du Nigeria, abrite une industrie cinématographique florissante, baptisée Kannywood, qui produit plus de 200 films par mois en langue haoussa, et abrite également des centaines de studios d'enregistrement musicaux.

«Arrêtez de gaspiller votre salive»

La Hisbah dicte les règles de conduite à l'industrie cinématographique et musicale locale, interdisant par exemple qu'un homme et une femme se touchent à l'écran. 

Elle condamne souvent des comédiens pour «immoralité», comme elle fait régulièrement des descentes dans des maisons closes, des fêtes alcoolisées ou des mariages où hommes et femmes se mélangent.

Le bureau de la censure mis en place par les prêcheurs musulmans et les pouvoirs locaux pour surveiller Kannywood a étendu l'an dernier ses activités aux réseaux sociaux.

Mais la réunion convoquée par la Hisbah avec les influenceurs n'a pas eu les effets escomptés.

A peine deux semaines plus tard, le 19 novembre, Murja Kunya a renoué avec ses habitudes et s'en est vivement pris à la police religieuse sur TikTok. «Arrêtez de gaspiller votre salive, je ne suis pas intéressée par vos prêches», a-t-elle tempêté.

«Beaucoup de gens pensaient qu'elle arrêterait ou serait moins transgressive après la précédente condamnation», explique à l'AFP Muhsin Ibrahim, professeur à l'Institut d'études africaines de l'université de Cologne (Allemagne). «Ce n'est pas le cas».