L'Etat peut-il aider un malade incurable à mourir sans douleur? L'Allemagne, où l'Eglise garde une influence importante, rouvre ce débat mardi devant sa plus haute juridiction.
Depuis quatre ans, des signaux contradictoires ont été envoyés sur le sujet de la fin de vie, rendant illisible ce qui est permis ou pas.
La question est sensible dans un pays où les personnes âgées sont de plus en plus nombreuses, mais aussi où le spectre du nazisme continue de flotter, le 3e Reich ayant eu largement recours à l'euthanasie notamment pour tuer les handicapés.
En 2015, le Bundestag, au terme d'échanges passionnés, avait banni l'assistance «organisée» au suicide, passible de trois années de prison.
Mais deux ans plus tard, la Cour administrative de Leipzig, plus haute instance administrative allemande, a rendu une décision surprise: les juges ont considéré que «dans des cas exceptionnels, l'Etat ne peut empêcher l'accès d'un patient à des produits anesthésiques qui lui permettraient de se suicider de manière digne et sans douleur».
Tollé
Ce tribunal avait été saisi par le mari d'une femme entièrement paralysée en 2002 par un accident et qui avait dû aller en Suisse pour bénéficier d'un suicide assisté en 2005.
Les juges avaient donné raison à l'époux, fixant trois conditions: que la souffrance du patient soit insupportable, que la décision de mourir soit prise de manière libre et qu'il n'y ait aucune alternative raisonnable.
Face au tollé, en particulier dans les influentes Eglises catholique et protestante, le gouvernement fédéral a finalement suspendu en 2018 l'application de cette décision.
Il ne peut revenir à des «fonctionnaires ou, à la fin, moi en tant que ministre», de décider «qui peut mourir», estimait en février 2018 Jens Spahn, un haut responsable de la CDU qui deviendra quelques semaines après ministre de la Santé.
Arrêt dans plusieurs mois
Saisie par des associations allemandes et suisses d'aide au suicide, des médecins ou des patients, la Cour constitutionnelle va se pencher sur la question mardi et mercredi, mais son arrêt n'est pas attendu avant des mois.
Les plaignants estiment que la législation actuelle viole les articles 1 et 2 de la Loi fondamentale allemande sur le respect «intangible» de la «dignité» humaine.
«Il n'y a pas seulement un droit à la vie, mais aussi un droit à une mort responsable», fait valoir dans l'hebdomadaire Die Zeit un des plaignants, le médecin Michael de Ridder.
Le suicide n'étant pas une infraction en droit allemand, médecins et proches souhaitent en outre une sécurité juridique accrue dans l'accompagnement des patients, notamment en cas d'arrêt d'un traitement conduisant à la mort.
Pression de l'Eglise
L'Eglise catholique a d'ores et déjà mis la pression sur les juges de Karlsruhe. L'archevêque de Berlin, Mgr Heiner Koch, a mis en garde lundi contre tout «changement du système de valeurs» par la Cour de justice fédérale et dit espérer «un signal fort pour la protection de la vie».
Sur ce sujet, des disparités perdurent entre pays européens. Trois ont légalisé l'euthanasie: Pays-Bas, Belgique et Luxembourg.
D'autres, comme la Suisse, la France, les pays scandinaves ou encore la Grande-Bretagne, l'Espagne ou le Portugal tolèrent eux une forme d'aide à la mort, avec l'administration de traitements antidouleur aboutissant à abréger la vie d'un malade incurable.
Les pays à forte tradition catholique, tels que l'Italie, l'Irlande ou la Pologne, restent réfractaires à toute aide à la mort. D'autres controverses éthiques traversent l'Allemagne ces derniers mois.
L'introduction par le gouvernement du consentement présumé en matière de dons d'organes a récemment agité politiques et religieux. La vaccination obligatoire ou le remboursement éventuel de tests pré-nataux de dépistage de la trisomie font eux aussi débat.
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