Faits divers Des joysticks et des hommes: quand la technologie remplace le planton

AFP

1.11.2018 - 07:54

Une alarme retentit, des intrus ont déclenché les capteurs camouflés dans les bois environnants, leurs silhouettes blanches apparaissent sur les écrans de contrôle. Dans un conteneur bardé d'appareils, un aspirant aboie ses ordres: en un rien de temps, la technologie va déjouer l'assaut.

Joystick en mains, deux gunners effectuent sur les instructions de l'officier un tir de barrage avec les mitrailleuses télé-opérées disposées autour de la base.

"C'est comme un joystick de Playstation ou de Xbox", explique Nicolai Dybvad, un des deux opérateurs.

Avec cette manette, "je peux aussi permuter d'ici entre les systèmes d'armes et contrôler la mitrailleuse statique ou celle montée sur le véhicule", explique le réserviste norvégien, charpentier dans le civil.

Alors que les tirs --factices, bien entendu-- continuent, une force d'intervention rapide est dépêchée. Guidés par les images reçues sur leurs écrans, ses soldats mettent hors d'état de nuire les derniers assaillants.

Près de l'aéroport de Trondheim, nœud logistique d'un gigantesque exercice de l'Otan actuellement en cours en Norvège, les technologies existantes les plus avancées ont été réunies pour esquisser la protection de base du futur.

Mini-drones, senseurs et caméras, bateau et voiture armée autonomes, capteurs de départ de tirs, brouilleurs de drones... Dans ce qui n'est déjà plus de la science-fiction, l'idée est de mettre sur pied une "bulle" de sécurité hyper efficace et économe en personnels.

"Le système est très intuitif", note l'aspirant Marius Sundbø en charge des opérations dans le conteneur blanchâtre. "Chaque composant a fait ses preuves depuis longtemps en situation de combat. La nouveauté, c'est qu'ici ils sont mis ensemble et qu'ils parlent entre eux".

Sans eux, "j'aurais besoin de beaucoup plus d'hommes que maintenant si je voulais disposer de la même connaissance de la situation", souligne-t-il. "Il me faudrait un homme à la place de chaque senseur".

- Questions éthiques -

La base-pilote éphémère fourmille de gadgets. Ici, un opérateur lance un Black Hornet, un drone minuscule et pourtant doté d'une caméra très haute résolution, déjà adopté par les forces spéciales de plusieurs pays.

Là, une imprimante 3D façonne des pièces détachées indispensables pour réparer des engins au plus près d'une zone de combat imaginaire, permettant d'alléger considérablement la chaîne logistique.

Un peu plus loin, un véhicule Polaris, capable de se déplacer sans chauffeur et surmonté d'une mitrailleuse, monte la garde.

"Il s'agit de mettre la technologie au service des hommes", fait valoir le lieutenant-colonel Jens Inge Hyndøy de l'Institut de recherche de la Défense norvégienne, à l'origine du projet mené conjointement avec l'Otan.

"C'est très adapté car beaucoup de temps est consacré à la surveillance alors que rien ne se passe. Les senseurs vont donc prendre le relais sans jamais être fatigués ou perdre leur concentration", dit-il.

Par la distance qu'elle introduit entre le tireur et sa cible, la technologie soulève pourtant son lot de critiques et de questions éthiques.

"On suit les règles d'engagement classiques: que faire à quel moment et contre qui?", insiste l'aspirant Sundbø. "Ces règles sont les mêmes que l'on soit assis ici ou dehors dans les bois".

Mais n'est-il pas plus facile d'appuyer sur un bouton de joystick pour effacer une silhouette sur un écran que de presser sur la détente pour répandre le sang?

"L'expérience qu'on a tirée d'Afghanistan où ces systèmes d'armes télé-opérés étaient montés sur des véhicules montre en fait le contraire", assure le lieutenant-colonel Hyndøy.

"On voit que les soldats sont plus calmes, ils sont moins effrayés et ne ripostent pas par panique mais prennent des décisions plus calculées", ajoute-t-il. "Je pense qu'il s'agit d'armer le soldat d'une morale solide et le système lui permettra de prendre les bonnes décisions".

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