Faits divers En Afghanistan, les guerriers à cheval ont enfin leur championnat

AFP

13.3.2020 - 17:56

Des coups de cravache, des montures qui se cabrent, une carcasse de chèvre en guise de ballon et... des caméras de télévision: l'Afghanistan organise son premier championnat de bouzkachi, un sport guerrier vieux de 800 ans, emblématique du pays.

A Kaboul, les spectateurs viennent par milliers pour assister durant une semaine à ces joutes brutales, qui opposent des équipes de 14 des 34 provinces afghanes.

La foule crie et siffle alors que les joueurs, revêtus d'uniformes aux couleurs vives, traversent au galop le terrain boueux, chacun tentant de s'assurer que son équipe reste en possession du cadavre étêté et éviscéré de 50 kilos.

Un moment de répit bien mérité dans un pays en pleine crise politique. Le match a été maintenu malgré les menaces d'attentats, fréquents dans la capitale, et les peurs liées au nouveau coronavirus.

Le bouzkachi, qui signifie «traîner une chèvre» en persan, consiste à s'emparer d'une carcasse, la caler entre la jambe et la selle, galoper ensuite jusqu'au bout du terrain, faire le tour d'un mât, puis revenir vers un «cercle de justice» tracé au sol et y déposer le trophée.

Originaire d'Asie centrale, ce jeu très violent est réputé remonter à l'époque de Gengis Khan (XIIIe siècle). Spectaculaire, il reste un symbole d'une culture afghane haute en couleur qui perdure malgré des décennies de conflit.

«Je suis ici pour soutenir mon équipe», affirme Shafiq Rahman, un fonctionnaire originaire de la province du Badakhshan (nord-est), dont l'équipe affrontait celle de Bamiyan (centre) jeudi.

«Mes parents m'ont dit de ne pas venir à cause des risques sécuritaires, mais je suis passionné par ce sport», continue le jeune Afghan de 25 ans. «On ne vit qu'une fois, alors il faut en profiter».

Les cris des vendeurs ambulants armés de leurs paniers d'œufs durs, samosas, pâtisseries et grenades, se mêlent à ceux de la foule qui s'amuse d'un cavalier malheureux tombé de sa monture.

- Craintes sécuritaires -

Un sport «très difficile», selon Haji Jawad Noori, un «tchopendoz» (joueur) de l'équipe de Kaboul. «Il faut être très rapide et souple. La carcasse est aussi très lourde», explique l'Afghan de 28 ans à l'AFP, dont la famille joue au bouzkachi depuis des générations.

Pour M. Noori, le championnat, qui a débuté mercredi, est une étape cruciale dans l'histoire d'un sport qui «n'a jamais été joué à cette échelle.»

Les organisateurs disent qu'ils souhaitent faire de ce tournoi d'une semaine un rendez-vous annuel, dans une ville différente à chaque fois.

«Nous voulons promouvoir le bouzkachi. C'est notre sport national et nous voulons en faire une discipline reconnue mondialement», s'enthousiasme Ghani Modaqiq, vice-directeur de la chaîne publique RTA, qui a reçu un contrat de 5 ans pour diffuser les matches en direct.

Comme souvent en Afghanistan, le succès du championnat va toutefois dépendre de la situation sécuritaire : les talibans ont attaqué des événements sportifs dans le passé. Ils avaient interdit le bouzkachi durant leurs 5 années passées au pouvoir, entre 1996 et 2001.

Alors que les insurgés reviennent en force aujourd'hui, et que les troupes étrangères s'apprêtent à quitter l'Afghanistan, nombreux sont les Afghans qui s'inquiètent pour l'avenir de leur pays.

La famille de Jawad Taraki a fui du Nangarhar (Est) vers Kaboul en 2018 après la mort d'un oncle tué par des combattants du groupe Etat Islamique, présent pendant des années dans cette province.

«Ils ont commis tant d'atrocités... causé tant de souffrances», raconte le jeune homme de 25 ans.

Mais, le temps d'un après-midi frais de fin d'hiver, face aux chevaux qui galopent, aux montagnes enneigées à l'horizon, la musique traditionnelle afghane se mêlant aux bruits de la foule, ces souvenirs douloureux s'estompent.

«C'est la première fois que je vois un match de bouzkachi en direct», remarque-t-il, détendu. Et de lancer : «pendant quelques minutes j'ai pu oublier tout le reste».

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