Contrôle social En Chine, on a l'habitude d'être «surveillé tout le temps»

AFP

15.10.2022 - 07:54

En juin, Chen, un homme de la province chinoise du Henan, s'est plaint en ligne après avoir reçu une contravention: mal lui en a pris, car la surveillance dans la rue et en ligne a atteint un niveau inédit en Chine.

Sur sa page personnelle du réseau social WeChat puis sur une discussion de groupe en ligne, il a pesté contre les agents de la circulation, des «simples d'esprit» selon lui. Quelques heures plus tard, la police est venue le chercher en l'accusant d'avoir «insulté la police». Chen a été placé en détention cinq jours pour «propos inappropriés», selon le journal local du Parti communiste.

Le contrôle social a longtemps fait partie de l'ADN des autorités chinoises, mais dans les années précédant l'arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2012, une certaine détente régnait: la société civile testait les limites et les forums sur internet se multipliaient, se riant de la censure.

Depuis son ascension, il a combiné technologie, législation et idéologie pour traquer toute menace à l'ordre social. Et personne n'y échappe, qu'il s'agisse des criminels, des dissidents, mais aussi de simples citoyens ayant franchi la ligne jaune.

La surveillance commence dans la rue: les villes chinoises comptent en moyenne 370 caméras pour 1.000 habitants, selon l'institut de recherche Comparitech, ce qui les place en haut du podium, bien loin devant Singapour (18 pour 1.000) ou Londres (13) par exemple.

Baptisé «Skynet», le vaste réseau de caméras permet de reconnaître les visages, les habits et même l'âge des passants.

Plus facile avant

La réglementation a quant à elle été renforcée, notamment dans les hôtels où les réceptionnistes doivent désormais scanner les visages de chaque client pour vérifier qu'il est bien le titulaire de la carte d'identité présentée.

Les achats en ligne et les locations de vélos partagés ou de voitures nécessitent également de fournir une photo d'une pièce d'identité afin de servir de garantie pour le vendeur ou l'entreprise.

Le documentariste et activiste Lu Yuyu a raconté à Amnesty International comment la police avait pu le suivre, lui et sa petite amie Li Tingyu, également militante, quand ils sont allés récupérer un colis d'une commande en ligne en 2016 dans la province du Yunnan (sud-ouest). 

Malgré leurs efforts pour rester discrets, c'est ainsi qu'ils ont été arrêtés. «On est surveillés tous le temps», s'inquiète un militant dans l'environnement s'exprimant sous couvert d'anonymat, une sensation qui s'est aggravée depuis deux ans avec le traçage quotidien des habitants comme mesure anti-Covid.

Certes, d'autres pays dans le monde ont mis en place des systèmes de surveillance, mais «la vraie différence en Chine est l'absence de médias indépendants et d'une société civile capables d'apporter une critique sérieuse de ces innovations», observe Jeremy Daum, du centre Paul Tsai China de la faculté de droit de Yale.

Il fut un temps où il était plus facile de déjouer la censure et «raconter des blagues sur internet sur (l'ex-président) Jiang Zemin était très populaire», se souvient Wang, dissident s'exprimant sous pseudonyme.

Génération Z

Désormais, chaque espace en ligne est scruté scrupuleusement dans cet internet chinois cerné depuis les années 2000 par une «Grande muraille informatique» bloquant nombre de sites étrangers.

Wang a créé un compte Twitter où il recense depuis 2013 les milliers de cas de personnes arrêtées ou sanctionnées pour s'être exprimées, qu'il s'agisse d'«insultes envers les agents de circulation» ou de diffusion de rumeurs sur une maladie mystérieuse à Wuhan, qui s'avérera être le Covid-19.

Tout cela, grâce notamment à la coopération entre la police et les plateformes de réseaux sociaux, de plus en plus mis à contribution.

Weibo, le Twitter chinois, emploie des milliers de modérateurs de contenus et bloque automatiquement tout mot sensible politiquement, comme le nom de la star du tennis Peng Shuai, quand celle-ci a accusé un vétéran de la politique d'agression sexuelle l'hiver dernier.

Xi a remodelé la société de telle manière que «le Parti dicte ce que +le peuple+ doit savoir, ressentir, penser, dire et faire», explique à l'AFP Vivienne Shue, professeur émérite d'études sur la Chine contemporaine à Oxford.

Et cette police idéologique s'étend aussi à la mode, certaines chaînes de télévision censurant par exemple les tatouages et les boucles d'oreille sur les hommes. «Ce qui me perturbe le plus n'est pas la censure elle-même mais comment elle façonne l'idéologie des gens, surtout la génération Z, qui a grandi avec cette censure stricte», note Wang.