Féminicide en Alsace «Préparé» mais pas «décidé»: un accusé se dit toujours «dans le flou»

ATS

25.1.2024 - 21:43

Il a «tué» Christine Bailly, a «préparé» son geste mais n'était «pas décidé» jusqu'au dernier moment: l'homme qui comparaît accusé de l'assassinat de son ex-conjointe Christine Bailly en 2020, a plongé jeudi la cour d'assises du Bas-Rhin «dans le flou».

En moyenne, un féminicide survient tous les trois jours en France. Le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti a récemment avancé le chiffre de 94 féminicides en 2023, contre 118 en 2022 (photo symbolique).
En moyenne, un féminicide survient tous les trois jours en France. Le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti a récemment avancé le chiffre de 94 féminicides en 2023, contre 118 en 2022 (photo symbolique).
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Keystone-SDA

Au deuxième jour de son procès où témoignages et faits accablants se sont multipliés, cet ancien technicien de 53 ans était interrogé sur le fond. Il avait reconnu mercredi à l'ouverture des débats avoir tué Christine Bailly mais sans préméditation, alors que les éléments en faveur d'un acte «méticuleusement» préparé, selon un enquêteur, pullulent dans le dossier.

Il a laissé une lettre dans laquelle il disait avoir «décidé de tuer Christine» et organisé sa fuite dans le Sud-Est, où il a été interpellé le 28 septembre 2020, deux jours après avoir tué cette aide-soignante d'un Ehpad de 58 ans. Elle avait été retrouvée le 26 septembre au sous-sol de sa maison de Wissembourg (Bas-Rhin), la gorge tranchée et le corps lardé de coups de couteau.

Mme Bailly l'avait quitté quelques mois plus tôt et avait un nouveau compagnon.

«Sauvagerie»

Questionné en fin d'après-midi par le président de la cour Antoine Giessenhoffer, l'accusé a cette fois fait bouger sa ligne de défense: «on ne peut pas dire que ce n'était pas prémédité avec tous les éléments recueillis», concède l'accusé.

La salle d'assises tend l'oreille, le président s'apprête à faire acter par le greffier ce changement, quand l'accusé ajoute: «je reconnais que j'ai préparé le passage à l'acte mais sans prévoir de le faire». «Ah, nous voilà au point de départ», lâche, un peu interloqué, le magistrat.

«J'avais jamais eu l'intention de tuer Christine» mais «quelque chose s'est passé dans mon cerveau quelques jours, quelques heures avant», a poursuivi celui qui avait pointé l'effet d'un anxiolytique prescrit peu de temps avant les faits pour expliquer son passage à l'acte. Une hypothèse écartée dans la matinée par des experts.

L'accusé, qui a répété avoir été «très mal psychologiquement» au moment des faits, prend acte de ces conclusions mais s'interroge toujours, trois ans et demi après les faits: «mon état psychique s'est dégradé après la prise (du) médicament (...) J'ai le ressenti qu'il y a eu un effet déclencheur sur mon psychisme», a-t-il insisté, à rebours des expertises.

Il se dit donc «toujours dans le flou» pour expliquer son passage à l'acte. La scène de crime, par exemple: il se souvient n'avoir porté que deux coups de couteau alors que le légiste en a dénombré au moins une dizaine, dont une large plaie d'égorgement.

«Vous avez la mémoire sélective», tacle l'avocate générale Eve Nisand, fustigeant la «sauvagerie» des coups portés.

«J'ai complètement disjoncté», dit-il. «Vous êtes pourtant très organisé», lui fait remarquer M. Giessenhoffer: la lettre signant le crime, la fuite en voiture avec des affaires de rechange «pour tenir», son téléphone mobile déconnecté pour éviter qu'il borne, 1500 euros en liquide retiré le jour des faits...

«La femme dans son écrin»

«J'ai pas réussi à lâcher prise, j'ai trop idéalisé Christine (...) Cette rupture m'a complètement déstabilisé», concède l'accusé. «Quand la femme dans son écrin commence à se fêler, il faut la détruire», glisse le président, paraphrasant la psychologue Valérie Ritzenthaler qui avait déposé dans la matinée.

Evoquant la «rigidité» de sa personnalité compensant «une fragilité» psychique, l'experte a estimé que, dans le cadre d'une séparation, le quinquagénaire était capable de «tout mettre en oeuvre pour que la personne ne lui échappe pas» – comme avec sa première femme, qui a évoqué mercredi sa séparation très difficile avec l'accusé – en installant des «mécanismes de contrôle, d'enquête».

Il a surveillé et fait surveiller Christine Bailly, jusqu'à découvrir peu avant le crime l'existence du nouveau compagnon.

Invités à déposer à la barre, les enfants de la victime, Nicolas et Perrine, ont appelé les jurés à rendre un verdict de «fermeté».

Perrine, 29 ans, a demandé «la peine la plus juste» contre ces «hommes qui prennent la vie» des femmes: «vous êtes la voix de celles qui n'en ont plus».

Le verdict est attendu vendredi.