«Je savais que c'était une mauvaise idée»Grande-Bretagne: les pros du sexe prennent des risques à cause de l'inflation
afp
16.4.2023 - 11:30
«J'ai commencé à voir des gens sur lesquels j'avais de mauvais pressentiments parce que je n'avais pas assez de clients pour pouvoir en refuser», raconte Jack Parker, 24 ans, qui chronique son quotidien d'«escort-boy» à Londres sur Twitter.
De nombreux professionnels du sexe au Royaume-Uni (qui sont dans leur très grande majorité des femmes) vivent dans des conditions d'extrême précarité, particulièrement vulnérables depuis le début de la crise du coût de la vie. (image d'illustration)
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Keystone-SDA, afp
16.04.2023, 11:30
ATS
De nombreux professionnels du sexe au Royaume-Uni (qui sont dans leur très grande majorité des femmes) vivent dans des conditions d'extrême précarité, particulièrement vulnérables depuis le début de la crise du coût de la vie, dans un pays où l'inflation s'accroche à plus de 10% depuis des mois.
Les clients réguliers de Jack ont réduit la fréquence de leurs rendez-vous: «C'est comme un luxe qu'ils peuvent moins se permettre».
Le jeune homme a aussi adapté ses tarifs et augmenté son temps de travail. Avant, il facturait 140 livres (156 francs) l'heure, contre 120, voire 110 livres désormais.
«Tout le monde ressent la crise du coût de la vie», explique Bianca Blake, porte-parole du Collectif anglais des prostituées (ECP).
«Cela signifie qu'il y a moins de clients, et s'il y a moins de clients, vous devez travailler plus (...) pour essayer de gagner le même montant qu'avant», et accepter de fournir de nouveaux services, ajoute-t-elle.
Montrer son visage
Julia, étudiante londonienne de 21 ans dont le prénom a été modifié à sa demande, gagne sa vie en postant des photos et vidéos érotiques sur le site britannique Onlyfans, une plateforme qui permet à des internautes de s'abonner à des comptes de créateurs pour accéder à des contenus ou en commander.
Si Onlyfans n'est pas expressément dédié aux contenus pour adultes, ces derniers ont tout de même fait son succès.
L'étudiante a récemment cédé aux demandes de plusieurs clients de montrer son visage, ce qu'elle évitait soigneusement jusque-là avec des photos «de dos ou avec un masque» pour rester anonyme.
«Même si je savais que c'était une mauvaise idée, c'était ça ou avoir un nouveau loyer de retard», regrette-t-elle.
La jeune femme se dit désormais terrorisée à l'idée d'être victime de «doxing», une pratique qui consiste à divulguer publiquement sur internet des informations personnelles relatives à un individu sans son accord, permettant de l'identifier.
Ces photos et vidéos érotiques, où elle est clairement reconnaissable, pourraient grandement compromettre ses chances d'obtenir un travail après ses études si elles tombaient dans les mains d'un recruteur, affirme-t-elle.
Fin 2022, des associations britanniques de travailleurs du sexe ont lancé la campagne Hookers Against Hardship (HAH, Putes contre la misère) demandant au gouvernement «de s'attaquer à la pauvreté, au mal-logement et à l'endettement qui contraignent tant de personnes, en particulier les mères, à se prostituer».
Dans une pétition en ligne soutenue par HAH et rassemblant plus de 25.000 signatures, Audrey C. décrit la «pression» financière qu'elle subit pour rencontrer des clients qu'elle aurait normalement refusés et offrir des services qu'elle ne fournissait pas avant «juste pour pouvoir manger et garder un toit au-dessus de ma tête».
La pétition souligne aussi les risques de violence auxquels sont confrontés les travailleurs du sexe.
Clients «à risque»
Jack Parker a vu à contrecoeur plusieurs clients qu'il savait être «à risque», signalés pour comportement abusif ou violent par d'autres professionnels sur une application qu'il utilise.
Il raconte avoir subi des agressions «comme des clients qui m'attrapent ou qui commencent à m'étouffer».
L'étau financier dans lequel il se trouvait l'a surtout contraint à travailler dans une maison close à Londres – des établissements illégaux au Royaume-Uni qui offrent généralement, contre un important pourcentage, un cadre de travail plus sécurisé, mais imposent un grand nombre de clients et un rythme de travail effréné.
Le jeune homme transgenre y a été exposé à de nombreux comportements violents et transphobes. «J'avais tellement besoin d'argent que je ne pouvais pas m'en aller.»
Avec la sévérité de la crise du coût de la vie, le Royaume-Uni a connu un pic de personnes se lançant ou reprenant le travail du sexe.
Ainsi à Londres, 30% des travailleurs du sexe sondés par l'organisation National Ugly Mugs (NUM) affirment avoir commencé en raison de la hausse générale des prix, selon un sondage de décembre 2022.
«La prostitution augmente parce que la pauvreté augmente», résume le collectif ECP, qui dispose d'une ligne d'assistance téléphonique dédiée aux professionnels du secteur. Leur nombre d'appels a gonflé d'un tiers en 2022.