Logements sordides «Ils peuvent mourir d'un effondrement de plafond»

Gregoire Galley

9.10.2025

Derrière ses façades tranquilles, le pavillon de banlieue est la cible d'investisseurs peu scrupuleux qui le divisent pour y loger des publics précaires dans des conditions parfois sordides. Ce phénomène insidieux, que les mairies peinent à endiguer, fragilise des quartiers entiers.

A Bobigny (Seine-Saint-Denis), le tissu pavillonnaire est longtemps resté hors des radars politiques.
A Bobigny (Seine-Saint-Denis), le tissu pavillonnaire est longtemps resté hors des radars politiques.
imago images/IP3press

Agence France-Presse

A Bobigny (Seine-Saint-Denis), où les barres d'immeubles dessinent l'horizon, le tissu pavillonnaire est longtemps resté hors des radars politiques.

Mais la pression immobilière et la pénurie de logements abordables ont favorisé l'essor de divisions pavillonnaires incontrôlées, souvent dans une logique spéculative, poussant la mairie à conditionner toute nouvelle location à l'obtention d'un «permis de louer».

«On a envoyé le message selon lequel Bobigny n'était plus le Far West et qu'il y avait un shérif dans la ville», observe José Moury, adjoint PCF à l'urbanisme, qui entend préserver ce tissu pavillonnaire pour répondre à l'enjeu climatique et favoriser la mixité sociale.

Repérables à la prolifération de boîtes aux lettres, véhicules et poubelles à leur entrée, des pavillons des années 1930 ont été transformés en micro-dortoirs insalubres.

Également touchée avec 40% de zones pavillonnaires, Argenteuil (Val-d'Oise) a aussi instauré un «permis de louer» ainsi qu'un «permis de diviser». En cas de division interdite, l'amende peut grimper à 75.000 euros.

«Nous avons des propriétaires modestes qui n'ont pas les moyens d'entretenir leur bien, d'autres qui sont négligents, mais aussi des marchands de sommeil qui se considèrent vertueux parce qu'ils proposent un toit aux gens sans comprendre qu'ils peuvent mourir d'un effondrement de plafond», souligne Véronique Laugier, adjointe au Logement.

Selon l'Agence régionale de santé (ARS) d'Ile-de-France, les divisions pavillonnaires illégales sont «en forte hausse» ces dernières années. A la clé, des occupants «logés dans des caves, des garages, des combles sans fenêtres, voire des cabanons de jardin», raconte Delphine Girard, membre de la délégation de l'ARS en Seine-Saint-Denis, où le phénomène est jugé «massif».

Anomalies

Faute de solides données chiffrées, les acteurs publics peinent à cerner un phénomène qui progresse en silence. «Un travail fin sur le terrain reste indispensable», estime Bastien Lainé, expert en quartiers anciens à l'Agence nationale pour l'habitat.

Or les collectivités manquent de moyens humains pour agir, tandis que les habitants, souvent en situation de peur ou de dépendance, n'alertent guère les autorités.

«Si la situation relève de l'habitat indigne, on peut mettre en place une procédure et forcer le propriétaire à réagir, mais ce n'est pas toujours facile de caractériser clairement une situation et l'habitat privé oblige aussi à apporter des réponses individuelles», souligne également M. Lainé.

A Bobigny, l'élu à l'urbanisme évoque des «auto-marchands de sommeil» pour désigner des familles qui n'arrivent plus à se loger autrement qu'en «se serrant».

«Comme on ne construit plus, on ne peut plus dire que les classes populaires sont repoussées plus loin géographiquement. Les 900.000 demandeurs de logements sociaux franciliens ne sont heureusement pas tous à la rue, mais dans des logements sur-occupés», analyse José Moury.

Depuis 2021, la Sifae, filiale de l'établissement foncier d'Ile-de-France et d'Action logement Immobilier, aide les collectivités franciliennes à racheter des pavillons dégradés pour les revendre en général à des bailleurs sociaux.

Derrière son portail à la peinture défraîchie, le pavillon à étage acquis à Bobigny par la Sifae début 2025 avait tout pour «n'attirer que les marchands de sommeil», résume Mathieu François, responsable développement de cette société. Parents en bas, grands-parents à l'étage, «la famille a divisé la maison en deux pour des questions de génération et d'immigration», explique-t-il.

Salle de bain au pied de l'escalier condamné, garage non isolé transformé en chambre sans autorisation... le logement concentre «toutes les anomalies des diagnostics électricité, gaz, plomb, amiante», énumère Mathieu François.

«Si vous ne faites pas les travaux nécessaires, ce bien acquis à moindre coût permettrait une rentabilité énorme», soupire-t-il. De fait, un promoteur véreux n'hésiterait pas à diviser encore chaque étage de 70 m2 en deux ou trois logements.

Au quotidien, Mathieu François traque les annonces immobilières et tique dès qu'il voit écrit «projet de division» ou «spécial investisseur», même dans des communes semi-rurales éloignées de Paris. «Il suffit qu'il y ait une gare pas très loin,» alerte-t-il.