Lausanne
Quatre ans après l'accident ferroviaire de Granges-Marnand (VD), le conducteur de train qui a survécu à la dramatique collision est face aux juges mardi à Yverdon-les-Bains. L'homme, un mécanicien expérimenté, est persuadé de ne pas avoir brûlé de feu rouge.
Accusé d'homicide par négligence et de lésions corporelles par négligence, le mécanicien CFF de 58 ans n'en a pas démordu mardi matin au Tribunal correctionnel de la Broye et du Nord vaudois. Le 29 juillet 2013, en gare de Granges-Marnand, il a remis son convoi reliant Payerne à Lausanne en marche car le feu était vert.
"J'ai regardé devant moi et j'ai vu une lentille verte (...) J'ai vu la position du vert avant de partir", a martelé l'homme, cheveux blancs, lunettes sur le nez, chemise à petits carreaux. Au président qui lui affirme que c'est impossible, que le feu était rouge et qu'il n'est pas daltonien, l'accusé répond: "Si j'avais vu du rouge, je ne serais pas parti".
Deux minutes de retard
Il le répète également, il ignorait qu'il devait croiser à Granges-Marnand et son train avait déjà deux minutes de retard. "Je n'avais qu'une seule priorité, minimiser ce retard ou du moins ne pas l'accentuer".
C'est probablement parce qu'il était "obnubilé" par ce retard qu'il dit ne pas avoir remarqué dans le rétroviseur "le chef de circulation faire des gestes pour m'alarmer".
La main sur la poignée
Ce n'est que lorsqu'il a vu le train qui arrivait en sens inverse que le quinquagénaire a pris conscience du danger. Il enclenche alors le freinage d'urgence et se lève pour s'éloigner du choc, le tout en deux ou trois secondes. "La collision s'est produite alors que j'étais debout, la main sur la poignée de la porte qui donne sur le compartiment du fourgon".
Face à lui, un RegioExpress conduit par un mécanicien de 24 ans qui perdra la vie dans l'accident malgré un freinage d'urgence. Son convoi roulait à 45km/h, celui qui vient de quitter Granges-Marnand à 60km/h. Vingt-six personnes sont blessées, dont six grièvement.
Pression grandissante
Devant la Cour, l'accusé et plusieurs mécaniciens expérimentés appelés comme témoins ont insisté sur la pression mise sur leurs épaules lors de retards. "On doit s'occuper en permanence de l'horaire et on nous appelle souvent pour nous demander pourquoi nous en avons".
Tous soulignent qu'avec l'arrêt de la procédure du double contrôle, où deux agents partageaient la responsabilité du départ du train avec le mécanicien, la pression s'est accentuée sur les épaules du conducteur.
"Alors qu'avant il y avait six yeux, il n'y en a plus que deux", glisse l'un d'eux. Et d'ajouter: "partir alors que le signal est fermé, cela nous est tous arrivé. C'est notre cauchemar, au propre comme au figuré".
Un seul accusé
En fin de matinée, l'un des témoins finit par lancer. "Comment se fait-il qu'il n'y ait qu'un accusé aujourd'hui?"
Le mécanicien qui a survécu est en effet seul sur le banc. Suite au recours des proches du conducteur décédé, le Tribunal cantonal avait ordonné en avril 2015 un complément d'enquête visant à déterminer d'éventuelles autres responsabilités au sein des CFF. Après examen, le Parquet a toutefois exclu une responsabilité pénale de l'ex-régie ou de ses collaborateurs.
Système ZUB
Dans son rapport publié en juillet 2014, l'ancien Service d'enquête suisse sur les accidents (SESA) concluait que la collision s'était produite car le train était parti en direction de Lausanne alors que le signal de sortie montrait encore "arrêt".
Reste qu'il émettait des recommandations. Equiper la gare de Granges-Marnand du système de contrôle de la marche des trains Euro-ZUB ou tenir compte de facteurs humains tels que les dangers dus à la routine.
Les CFF avaient alors indiqué que des mesures prises (double contrôle lors du départ des trains) avaient été prises après examen à l'interne. Depuis avril 2014, cette gare est par ailleurs équipée d'un système simplifié de surveillance de la vitesse ZUB.
Retour à la page d'accueilATS