En prison depuis 40 ansLa justice réexamine le dossier du plus ancien prisonnier de France
Basile Mermoud
17.6.2025
Nouvelle audience décisive pour le Libanais Georges Abdallah, en prison depuis 40 ans pour complicité d'assassinats de diplomates américain et israélien en 1982: la justice, qui lui avait demandé un «effort conséquent» d'indemnisation des victimes, se repenche jeudi sur la demande de libération d'un des plus vieux détenus du pays.
«Détenu âgé» d'aujourd'hui 74 ans, Georges Ibrahim Abdallah ne présente plus de «risque grave» de récidive, ni de «trouble à l'ordre public» en cas de libération, avait estimé la cour (archive).
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Agence France-Presse
17.06.2025, 19:59
Basile Mermoud
La cour d'appel de Paris devait rendre sa décision le 20 février mais avait surpris en annonçant à la dernière minute son report: «en l'état il n'est pas possible de faire droit» à sa demande, avaient écrit les magistrats, estimant «nécessaire, au préalable», qu'il s'acquitte au moins en partie des dommages et intérêts dus aux parties civiles.
Dans son arrêt, elle s'était toutefois dite favorable à sa remise en liberté avec départ immédiat pour le Liban (prêt à l'accueillir), dans la lignée de la décision rendue en novembre par le tribunal d'application des peines, immédiatement suspendue par un appel du parquet antiterroriste.
«Détenu âgé» d'aujourd'hui 74 ans, Georges Ibrahim Abdallah ne présente plus de «risque grave» de récidive, ni de «trouble à l'ordre public» en cas de libération, avait estimé la cour.
Contre «l'oppression israélienne et américaine»
Mais le militant pro-palestinien condamné à la perpétuité en 1987 a toujours ouvertement refusé d'indemniser les parties civiles - les familles des diplomates assassinés à Paris, ainsi que les Etats-Unis.
Tout en niant son implication, il a de manière constante qualifié les assassinats d'"actes de résistance" contre «l'oppression israélienne et américaine» dans le contexte de la guerre civile libanaise et l'invasion israélienne au sud-Liban en 1978.
«Sans évolution sur ce point, il apparaît vain d'espérer» qu'il indemnise les victimes une fois rentré au Liban alors que la justice française ne pourra plus l'y contraindre, avait expliqué la cour pour justifier le report de l'examen de sa demande. Ce délai devait «permettre» à Georges Abdallah de «justifier» d'un effort conséquent" d'indemnisation.
Une «mesquinerie juridique» et une «torture morale» pour celui qui est libérable depuis 25 ans mais a vu sa dizaine de demandes de libération conditionnelle échouer, avait dénoncé l'avocat de Georges Abdallah, Me Jean-Louis Chalanset.
Laissez-passer
En vue de la nouvelle audience (non publique) de jeudi, l'avocat a cependant transmis à la cour des documents indiquant qu'il y a sur le compte de George Abdallah en prison une somme «d'environ 16.000 euros», «à la disposition des parties civiles si celles-ci sollicitent le versement». Sans préciser d'où venait l'argent ni s'épancher sur la position de son client.
Selon Me Chalanset, figuraient déjà, avant la demande de la cour, quelque 4.000 euros sur le compte dédié à l'indemnisation des parties civiles du détenu, somme «qui n'a jamais été demandée».
«Les conditions de la cour sont réunies, on attend sa libération», a-t-il déclaré à l'AFP avant l'audience.
Mardi soir à Toulouse, plusieurs centaines de militants pro-palestiniens se sont rassemblés pour exiger la sortie de prison du militant détenu à Lannemezan (Hautes-Pyrénées) à une centaine de kilomètres de la ville rose.
«Aujourd'hui cette libération est à notre portée», a affirmé à l'AFP dans le cortège Tom Martin, ex-porte-parole de «Collectif Palestine vaincra», dissous en février.
«C'est essentiel de montrer qu'en dépit de quarante ans de détention, Georges Ibrahim Abdallah demeure fidèle à ses principes et idéaux (...) mais aussi qu'il peut encore compter sur un mouvement de solidarité extrêmement important», a-t-il expliqué dénonçant les «arguties juridiques» et le «chantage au reniement» des autorités françaises pour retarder sa libération.
Côté parties civiles, les Etats-Unis, qui se sont opposés farouchement à chaque demande de libération de Georges Abdallah, ont signalé une décision récente de la Cour de Cassation concernant les conditions de la libération conditionnelle, espérant qu'elle pousse les magistrats à revoir leur arrêt de février. Leur avocat Me Thierry Marembert n'a pas souhaité s'exprimer.
A l'issue de l'audience jeudi, la cour mettra vraisemblablement sa décision en délibéré à une date ultérieure.
Selon une source proche du dossier, le ministère de l'Intérieur a contacté ces derniers jours l'ambassade du Liban à Paris pour s'assurer qu'en cas de feu vert, les autorités locales prévoyaient un laissez-passer et prendraient en charge son billet d'avion Paris-Beyrouth, ce que l'ambassade a confirmé. Avant cela, son transfert depuis Lannemezan vers la capitale serait assuré par les forces de l'ordre françaises.
Georges Abdallah, tombé dans l'oubli au fil des ans alors qu'il était au moment de sa condamnation l'un des plus célèbres prisonniers de France, est un «symbole passé de la lutte palestinienne», estimait la cour dans son arrêt de février, soulignant que son groupuscule de chrétiens libanais laïcs, marxistes et pro-palestiniens nommé FARL (Fraction armée révolutionnaire libanaise), dissous depuis longtemps, «n'a pas commis d'action violente depuis 1984».