«Je suis une usine à torturer»La nuit où Nicolas Hénin a reconnu son ancien geôlier
Alix Maillefer
24.2.2025
«Une nuit d'insomnie et de doute». L'ex-otage Nicolas Hénin a raconté lundi au procès des geôliers présumés du groupe Etat islamique (EI) comment a émergé la reconnaissance du visage de Mehdi Nemmouche, assis une décennie plus tard dans le box des assises spéciales de Paris.
Nicolas Hénin en septembre 2014 à Paris (archives).
AFP/Archives
Agence France-Presse
24.02.2025, 20:58
Alix Maillefer
Les traits du jihadiste français, aujourd'hui âgé de 39 ans, apparaissent dans les médias après son arrestation pour l'attentat du musée juif de Bruxelles où il a abattu froidement quatre personnes le 24 mai 2014.
«Mon principal souvenir, c'est une nuit de doute, d'insomnie et de doute», raconte l'ancien journaliste de 50 ans dans l'après-midi, après trois heures de déposition dans la matinée.
«Après l'arrestation de M. Nemmouche, je vois une photo», raconte-t-il, «une photo en noir et blanc, très pixelisée», qui l'interpelle.
Abou Omar, la «kounia» (nom de guerre) attribuée à Mehdi Nemmouche, et qu'il conteste, est «le geôlier que j'ai le plus vu à visage découvert», relève Nicolas Hénin.
L'ancien journaliste, détenu pendant 10 mois par les jihadistes de l'Etat islamique, n'en revient pas.
Après avoir retourné la question dans tous les sens, «au petit matin, je m'en confie à mon épouse».
Au téléphone avec le commissaire de police, il procède méthodiquement, prudemment, demande que l'on vérifie «si ce n'est pas un revenant de Syrie», s'il ne correspondrait pas au dénommé «Abou Omar»...
«Mémoire traumatique»
C'est son signalement à la police, qui après une longue enquête, aboutira à ce procès à Paris, où Mehdi Nemmouche conteste le rôle dont il est accusé.
L'ancien journaliste prend ce procès «comme une occasion de tourner la page», et de pouvoir se libérer enfin d'"injonctions contradictoires".
Celles des psy, de mettre ses souvenirs derrière lui, et celles de la police, de la justice, de se souvenir de tout pour témoigner.
Alors qu'interrogatoire et confrontations sont prévus jeudi et vendredi, l'avocat de Mehdi Nemmouche, Me Francis Vuillemin prévient.
«Votre souffrance, on l'intègre tous, on la comprend tous», «cette audition, vous la préparez depuis 10 ans», «c'est votre jour». Mais le moment venu, il aura une vingtaine de questions, «et je sais qu'elles ne vous plairont pas».
Toute la matinée durant, Nicolas Hénin avait livré un récit à la fois extrêmement détaillé et pudique de son calvaire.
«C'est très intime de parler de ses souffrances», «longtemps j'ai eu honte de ce que j'ai subi».
Il raconte les interrogatoires encore et encore, dont peu importent les réponses, «la vérité ne les intéresse pas».
«Main d'éléphant»
Les coups qui pleuvent, alors qu'il est menotté, entravé. «Ils me frappent la plante de pieds, des dizaines et des dizaines de fois.»
Il se souvient d'un supplice dont «l'effet recherché» est «proche d'une crucifixion», sous un soleil brûlant. «Je me souviens avoir eu la langue comme de la pierre.»
Vient aussi l'effroi au moment de constater ses blessures. «J'ai une main d'éléphant», dont la peau s'est muée en «une sorte de cuir», «je n'ai presque plus de sensations». Des pieds qui «ne sont plus que cloques».
«Pendant tout ce temps-là, je suis dans une usine à torturer», dit-il, évoquant le sort des Syriens, et celui des détenus occidentaux, dont il a égrené les prénoms au début de sa déposition, qui ont été exécutés par l'EI.
Nicolas Hénin raconte aussi un «simulacre d'exécution», auquel il a répondu par un «allez-y, qu'on en finisse», qui a manifestement déçu ses tortionnaires.
C'est, dit-il, la seule fois où il a songé à mettre fin à ses jours, avant de se dire «je n'ai pas le droit de rendre mes enfants orphelins, je ne me suiciderai pas».
«Les nuits sont très dures», «on entend des tortures» toute la nuit durant, de la prière du soir à celle du matin, «une usine à torturer».
Entendu en toute fin de journée, Pierre Torres, le quatrième des journalistes français entendus, a quant à lui livré un récit tout en retenue, sans s'étendre sur ce qu'il a subi.
«Je suis un peu passé entre les gouttes», soutient-il même. «J'ai surtout eu très peur, plus de peur que de mal», lance-t-il, en reconnaissant: «sans doute que je ne suis pas la même personne».