Violence domestiqueLe Covid s'éloigne, les féminicides reprennent de plus belle
ATS
29.6.2021 - 07:59
Synonyme de «perte de contrôle» pour les hommes violents, le retour progressif à la vie normale a signé en Europe une reprise des féminicides. L'accalmie durant le huis clos du confinement pour lutter contre le Covid-19 était trompeuse.
29.06.2021, 07:59
ATS
Leurs visages font la Une des journaux. Comme Chahinez, brûlée vive en France par son mari, ces cinq femmes tuées en trois semaines en Suède au printemps ou en Espagne, ces photographies qui n'en finissent pas de hanter les journaux télévisés.
Dans les rares pays européens où sont disponibles des statistiques officielles pour 2021 ou des recensements d'associations, les chiffres sont sans appel. En Espagne, par exemple, une femme est tuée tous les trois jours par son conjoint ou son ex-conjoint depuis la levée en mai de l'état d'urgence sanitaire, contre une par semaine en moyenne.
En Belgique, treize féminicides avaient déjà été recensés à la fin avril contre 24 sur l'ensemble de 2020, tandis qu'en France, 56 femmes ont été tuées à ce jour, selon le collectif «Féminicides par compagnons ou ex», contre 46 à la même date en 2020.
«Pandémie machiste»
«Quand les femmes retrouvent leur liberté, les agresseurs sentent qu'ils perdent le contrôle et réagissent encore plus violemment. La flambée des féminicides ces derniers mois le montre», explique à l'AFP Victoria Rosell, à la tête de la délégation du gouvernement espagnol contre la violence machiste.
«En faisant sauter le verrou des restrictions, on a déverrouillé une autre pandémie: la pandémie machiste qui se terrait en dessous», ajoute-t-elle.
Premier pays européen à avoir adopté en 2004 une loi faisant du genre de la victime une circonstance aggravante en cas d'agression, l'Espagne veut en finir «une fois pour toutes» avec ce «fléau», a martelé le premier ministre socialiste Pedro Sanchez après la récente recrudescence de féminicides.
Partout en Europe, les confinements ont rendu la détection des violences conjugales encore plus délicate. Cloîtrées, les victimes ont été obligées de cohabiter avec leur bourreau et d'appeler à l'aide dans la plus grande discrétion.
En Espagne, durant le confinement (de mi-mars à mi-juin 2020), les demandes d'aide ont augmenté de 58% par rapport à la même période de 2019 avec un boom des demandes d'information en ligne (+458%), des sollicitations «silencieuses» comme les qualifie le ministère de l'égalité.
Sous surveillance permanente
«Cela en dit long sur la situation des femmes qui ne pouvaient même pas passer un coup de fil depuis leur domicile», commente Victoria Rosell.
En Italie et en Allemagne, même constat avec des pics très marqués en avril et mai 2020 du nombre d'appels aux numéros d'urgence consacrés aux violences conjugales. Au Royaume-Uni, l'organisation «Refuge», qui aide les victimes des violences familiales et conjugales, a reçu du printemps 2020 à février 2021 presque deux fois plus d'appels qu'en temps normal.
Enfermées avec leur agresseur, les femmes victimes de violences ont été sous sa surveillance permanente. Comment dès lors appeler à l'aide?
En Italie, elles pouvaient appeler le numéro d'urgence de la police et dire «je voudrais commander une pizza margherita», indiquant à l'opérateur qu'elles étaient victimes de violences ou craignaient de l'être et déclenchant l'envoi d'une patrouille. En Espagne, elles pouvaient demander «un masque violet» dans les pharmacies, rares endroits ouverts pendant le confinement.
«Scénario idéal»
Si les appels se sont multipliés, les plaintes comme les assassinats ont, en revanche, baissé pendant les restrictions, relève Angeles Carmona, la présidente de l'observatoire espagnol contre la violence domestique et de genre.
En France, en Italie ou en Espagne, le nombre de féminicides a ainsi baissé l'an dernier avec respectivement 90, 67 et 45 femmes tuées par leur compagnon ou ex-compagnon. En Belgique, ce chiffre s'est maintenu à 24.
Le phénomène n'est pas surprenant, car le confinement a été le «scénario idéal pour exercer la violence de contrôle» entre absence de vie sociale et télétravail, estime ainsi Angeles Jaime de Pablo, présidente de l'association féministe Themis, selon laquelle la recrudescence actuelle des féminicides était «prévisible».
C'est souvent lors de l'annonce de la séparation, du divorce ou du début d'une nouvelle relation amoureuse qu'a lieu le passage à l'acte. Le confinement a, de fait, reporté ces éléments déclencheurs.
«Une fois la crise sanitaire terminée, de nombreuses victimes réalisent qu'elles ont les outils pour mettre fin à la relation. Et c'est là où il y a un risque majeur que les assassinats se produisent», selon Carmen Ruiz Repullo, sociologue spécialisée dans la violence de genre.