«On sait que l'éruption va arriver» Le Franc Paysan prendra-t-il racine grâce aux communes ?

Valérie Passello

13.5.2025

En six mois, le Franc Paysan a commencé à creuser son sillon. Et si le premier bilan n'est pas tout à fait à la hauteur des ambitions initiales, il n'empêche que cette monnaie parallèle a déjà séduit passablement de producteurs, de points de vente et aussi quelques communes. 

Aurélien Roger, président de l'Association du Franc Paysan et Marianne Gfeller, élue du Conseil général de la commune de Lully.
Aurélien Roger, président de l'Association du Franc Paysan et Marianne Gfeller, élue du Conseil général de la commune de Lully.
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Valérie Passello

À Lully, petite commune vaudoise de quelque 800 âmes, les citoyens ont la possibilité de se rendre à l'administration pour échanger des francs suisses contre des Francs Paysans (FP). L'avantage ? Pour 80 frs, ils obtiennent 100 FP. La commune fait ce geste pour ses habitants, dans le cadre de son programme de subventions en faveur du développement durable.

Mais elle le fait aussi pour encourager la vente directe chez des entreprises du coin, rejoignant ainsi les buts du FP. À noter que seuls les producteurs peuvent convertir des FP en francs suisses; pour les consommateurs, la monnaie doit être utilisée dans les commerces acceptant le FP.

Citoyenne de Lully et élue au conseil général, Marianne Gfeller explique: «En réfléchissant à notre plan 'Energie et Climat', nous cherchions un moyen de soutenir nos producteurs, sans que cela soit trop contraignant pour nous». La commission ad hoc a songé à mettre en place un système de bons ou à lancer une monnaie locale, mais ces éventualités auraient probablement entraîné une surcharge administrative.

«Au final, un des membres de la commission nous a parlé du Franc Paysan.  Cette solution nous a semblé idéale: tout était déjà en place», relève Marianne Gfeller. La commune de Lully a donc passé commande pour 10'000 FP, par tranches de 2000, pour commencer prudemment et voir si le système prend racine au sein de la population. 

«Je me sens comme un vulcanologue»

D'autres communes ont été approchées par les instigateurs de cette monnaie locale, initialement lancée sur la Riviera, mais qui veut s'étendre dans toute la Suisse romande. Pour l'heure, Blonay-St-Légier et La Tour-de-Peilz ont aussi soutenu le projet, mais «Lully est la première commune qui arrive avec une vraie politique d'utilisation», relève Aurélien Roger, président de l'association Franc Paysan.

Il espère que la monnaie va s'installer dans les habitudes de la petite commune vaudoise et circuler suffisamment pour que les communes alentour s'y intéressent, et ainsi de suite: «J'ai l'impression d'être un vulcanologue, quand je vois tout ce qui se passe et l'engouement généré par ce projet. On sait que l'éruption va arriver, mais on ne sait pas quand, ni à quelle intensité».

À ce jour, le bouillonnement souterrain pour le FP s'est déjà intensifié: au début de l'aventure, 14 producteurs et 15 points de vente ont accepté de jouer le jeu. Six mois plus tard, ils sont 51 producteurs et 70 points de vente. À noter que 9 entreprises ont acheté des FP, de même que les trois communes mentionnées plus haut et 34 particuliers.

«Un très bon démarrage»

Au départ, Aurélien Roger souhaitait mettre en circulation l'équivalent de 50'000 frs en FP sur les six premiers mois de l'expérience et espérait même dépasser ce montant. Mais à l'issue de la phase pilote, ce sont très exactement 35'325 FP qui ont été achetés, pour 6909 FP dépensés chez 18 producteurs différents.

«Je suis d'une nature impatiente. Mais en discutant avec d'autres personnes qui ont lancé des monnaies locales, je m'aperçois que c'est déjà un très bon démarrage», relativise le président de l'association à but non lucratif.

Un traçage des billets en circulation a également été mené, pour voir comment et où ils avaient été utilisés. Que ce soit pour l'achat de fruits et légumes, de viande, de lait, de vin ou autres, des FP ont été utilisés dans tous les types de commerces représentés au sein de l'association.

Vers davantage de points de vente

Après ces six premiers mois, le Franc Paysan ne perd pas de vue son objectif de favoriser les producteurs locaux. Mais pour que la monnaie locale puisse s'étendre, quelques aménagements vont être faits, note Aurélien Roger: «Si on veut être appétent pour une ville comme Lausanne, par exemple, il faut avoir davantage de points de vente, des commerces qui se sourcent chez les producteurs du réseau». 

Un système de «membres commerçants» va donc être mis sur pied. Ces points de vente s'engageront à accepter les FP, bénéficieront d'un soutien promotionnel, mais ne pourront pas reconvertir les FP en francs suisses: ils devront les réutiliser plus loin. 

«Cela nous permettrait très vite de doubler, voire tripler le nombre de points de vente. Par exemple, nous sommes en contact avec les épiceries bio et vrac romandes», explique le porteur du projet. L'objectif fixé pour fin 2027 est ambitieux: arriver à 300 producteurs et 600 commerçants adhérents. Dès 2028, l'association Franc Paysan espère atteindre l'autonomie financière.