Récit glaçantLe rêve d'Angleterre brisé de Dina, 21 ans, morte écrasée dans un canot
AFP
7.8.2024
«Elle était tellement heureuse quand elle est arrivée au bateau !». Depuis Calais (nord de la France), la famille de Dina, migrante de 21 ans, témoigne de sa peine et de sa colère: la jeune femme est morte fin juillet après avoir été écrasée sous leurs yeux dans un canot surchargé sur lequel elle espérait gagner l'Angleterre.
AFP
07.08.2024, 09:46
07.08.2024, 09:55
Gregoire Galley
Le drame de cette famille bidoun, une minorité apatride du Koweït, s'est noué le 28 juillet vers 4H00 du matin --quelques jours avant le début des violences d'extrême droite anti-migrants au Royaume-Uni.
En France depuis un mois, la famille Al Shammari --deux parents et quatre enfants de 13 à 21 ans-- a déjà tenté à cinq reprises d'embarquer dans un canot pour traverser la Manche, autant de tentatives avortées après intervention de la police. Cette nuit-là, rapporte Nour, 19 ans, sa soeur et elle sont les premières à monter dans le canot, suivies par des dizaines d'autres migrants.
«Presque 20 personnes nous écrasaient, ma soeur et moi. Nous avons demandé à descendre mais on ne nous a pas laissé faire», poursuit-elle depuis l'accueil de jour de l'organisation Secours catholique à Calais. «Le bateau est quand même parti. Des jeunes qui avaient des couteaux menaçaient de les utiliser s'il ne partait pas».
Pendant une heure, toutes deux appellent à l'aide, en vain. Finalement, des passagers réalisent que Dina «est toute blanche, avec des bleus au niveau du cou». Ils appellent les secours maritimes.
En écoutant le récit de Nour, sa mère Amira sanglote, s'essuyant les yeux avec son voile. Selon la préfecture maritime de la Manche et de la Mer du Nord, 35 personnes, dont Dina, inanimée, sont secourues vers 5H30, sur environ 75 à bord. Les autres poursuivent leur route vers l'Angleterre.
Hélitreuillée vers le port français de Boulogne-sur-Mer, la jeune femme ne survit pas. Fatima, 14 ans, soeur de Dina, de Nour et d'Abdullah, 13 ans, doit être soignée pour un pied écrasé.
Tout en s'exprimant avec douceur, Nour dit éprouver de la colère à l'égard des passagers qui n'ont pas écouté leurs appels pendant cette heure interminable. Une enquête est ouverte pour homicide involontaire aggravé et mise en danger de la vie d'autrui.
«Dina était tellement heureuse quand elle est arrivée au bateau !», raconte sa mère. Elle décrit une «bonne vivante», qui «aimait la vie» et «voulait rejoindre l'Angleterre pour vivre en sécurité, laisser derrière elle les poursuites de la police».
Interrogée sur la situation au Royaume-Uni, secoué par des violences visant les demandeurs d'asile, sa soeur Nour dit ne pas être au courant et estime que «la situation là-bas est meilleure pour les exilés, avec plus de sécurité, plus de stabilité». Elle montre une photo de Dina, souriante, lunettes de soleil et longs cheveux bruns dénoués.
Le père de famille, Ratham, septuagénaire, était berger au Koweït, pays qui leur refuse la citoyenneté car ils sont bidoun, une minorité considérée comme étrangère.
La famille a donc pris le chemin de l'exil pour s'installer en Allemagne début 2021. Dina y obtient un diplôme «dans le domaine dentaire», mais le pays leur «refuse la protection», leur demandant des documents qu'ils ne peuvent fournir, explique Nour. Ils quittent alors l'Allemagne pour tenter l'Angleterre.
Aujourd'hui, les Al Shammari ne pensent plus à l'avenir, mais se concentrent sur le rapatriement du corps de Dina dans le Golfe. Une cagnotte en ligne doit les aider à obtenir les 5.000 euros nécessaires.
«Les personnes exilées ici vivent dans un monde saturé de mauvaises nouvelles», souligne Juliette Delaplace, chargée de mission sur le littoral Nord pour le Secours catholique. «Les violences racistes au Royaume-Uni, ne sont qu'un élément de plus dans un paysage de désolation».
Ces dernières semaines, les drames se sont enchaînés côté français, avec sept décès dans des tentatives de traversées en juillet, les traversées de la Manche sur des bateaux de fortune étant particulièrement nombreuses l'été.
«Les décès interviennent très près des côtes», constate Marie Fillâtre du Refugee Women's Center, qui accompagne la famille Al Shammari. «Il y a de plus en plus d'interventions (de la police) sur les plages, donc des groupes essayent de monter sur un autre bateau que celui sur lequel ils étaient prévus».
Depuis le début de l'année, plus de 16.700 migrants sont arrivés en Angleterre en traversant la Manche.
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