Afghanistan Le rire en ligne, bastion antitaliban

AFP

8.11.2021 - 10:49

Lorsque le taliban rencontre Aryana Saeed, la pop-star afghane l'envoûte : «Si tu te maries avec moi, j'aurai une barbe, une moustache, des tanks (...) et je te construirai une discothèque», lui promet-il dans une vidéo 3D réalisée par un auteur Afghan aux millions de vues.

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Mais la chanteuse la plus connue du pays, désormais réfugiée en Turquie, lui est en fait apparue en rêve. Et l'islamiste à la Kalachnikov en bandoulière se réveille étreignant un compère barbu.

Celui-ci, affublé d'une voix nasillarde, décide dans une autre vidéo de montrer la vie à Kaboul depuis que les fondamentalistes ont pris le pouvoir mi-août. Fier, il marche dans la capitale... et tombe sur une femme recouverte d'un niqab noir. «Es-tu un génie, une fée, un humain ?», la questionne-t-il, traduisant le désarroi de la population face à cette tenue que les talibans semblent promouvoir.

Depuis des siècles, l'habit conservateur des Afghanes est plutôt la burqa bleue, que les islamistes avaient rendue obligatoire durant leur premier règne (1996-2001). Mais nombre d'habitantes de la capitale s'en étaient affranchies, après vingt ans de présence internationale.

«J'ai quitté l'Afghanistan à l'âge de 13 ans, alors que les talibans étaient au pouvoir. Je me souviens de tout», explique l'auteur de ces vidéos humoristiques Hafiz Afzali, 34 ans, qui a connu le parcours migratoire mouvementé de nombre d'Afghans installés en Europe.

Clandestin, il a vécu trois ans de galère en Iran, un an en Turquie, puis sept en Grèce. En Finlande, où il est installé depuis sept ans, il est youtubeur la semaine, chauffeur de taxi le week-end.

Regarder et penser

Cet autodidacte de la 3D, une technique qu'il perfectionne dans une université d'Helsinki, a réalisé plus de 200 vidéos humoristiques. La corruption débridée de l'ancien gouvernement, qui a selon lui conduit l'Afghanistan à sa perte, a longtemps été son sujet de prédilection.

Les talibans, aux visages toujours austères, le sourire absent, constituent désormais son unique cible. «Ils sont bons à garder les chèvres, mais ils ne peuvent pas gérer un pays», moque-t-il. «Leurs fusils sont plein de balles mais leurs esprits sont vides».

Plusieurs de ses œuvres, également diffusées sur les pages Youtube et Facebook d'autres internautes, totalisent plus de 1,7 million de vues. «Ca marche très bien. Les gens comprennent le message, car il est visuel, observe Hafiz Hafzali. Je ne mets en ligne que de la comédie pour qu'ils regardent, apprécient... et pensent».

L'analyse est identique pour Musa Zafar, humoriste fameux en Afghanistan, qu'il a fui en 2016 – il refuse dire où il vit à présent, invoquant sa sécurité. «Les satiristes font rire les gens, tout en gardant le côté informatif des médias», dont les Afghans sont «fatigués» car leurs informations sont «déprimantes», estime-t-il.

Leur avantage est également de «faire réfléchir à deux fois» les dirigeants dont ils se moquent sur «la manière dont ils gouvernent et les mesures qu'ils prennent», poursuit l'"Imam Musa», son nom de plume choisi pour «combattre l'extrémisme religieux».

«Un nouveau comité s'est formé au sein du ministère de la Promotion de la vertu et de la Prévention du vice pour discuter de la forme des concombres, aubergines et citrouilles», légumes jugés «provocateurs» car ressemblant vaguement à des organes sexuels, a-t-il récemment ironisé.

Pour ces mêmes raisons, «les boulangers ont désormais deux semaines pour produire du pain qui ne soit ni rond, ni long», a-t-il poursuivi sur Afghanistan international, l'un des sites d'information les plus lus du pays.

«Etroitesse d'esprit»

Son billet faisait écho aux déclarations télévisées d'un mollah proche des talibans, qui fin septembre conseillait sans ciller aux femmes de «ne pas mettre de parfum quand elles sortent de chez elles», ni de porter de chaussures à talons, dont le claquement sur le sol viserait selon lui à électriser les hommes.

«L'ignorance et l'étroitesse d'esprit des talibans énergisent les satiristes», sourit Imam Musa. Le dessinateur Mergan Punch, un pseudonyme, a lui décidé de poursuivre son travail depuis Kaboul, où il vit caché.

Il a ouvert un compte sur les réseaux sociaux, où ses dessins sont publiés. Le premier d'entre eux montre un taliban, pris dans la mire d'un téléphone portable. «Je vous ai tous pardonnés», sourit-il, faisant le V de la victoire avec ses doigts. Mais en élargissant le champ, on remarque qu'il se repose sur un maillet, avec lequel il a tué deux colombes, symbole de paix.

«Mon message est qu'ils n'ont pas changé. Ils veulent mettre leurs mollahs et leurs moudjahidines au pouvoir et faire de l'Afghanistan le pays des terroristes», dénonce le dessinateur.

Une telle résistance en ligne expose Mergan Punch à d'éventuelles représailles, tant sur le fond que sur la forme, les islamistes ayant banni le dessin dès lors qu'il représente une vie humaine. Peu après leur arrivée, ils ont en outre admis avoir tué un humoriste du sud de l'Afghanistan.

Daud (nom d'emprunt), l'un des dessinateurs les plus fameux du pays, au trait facilement reconnaissable, a lui cessé toute activité. Il cherche à s'exiler, car «se battre pour la justice et contre l'extrémisme par l'art est (sa) passion», dit-il. Avant de soupirer : «Mais je n'ai plus aucune chance de le faire en Afghanistan».