Déboulonnées et vandalisées Les statues ne laissent décidément personne de marbre 

Valérie Passello

6.7.2021

Les reines Victoria et Elisabeth II mises à terre au Canada, de grandes personnalités historiques poussées soudain au bas de leur piédestal par la population en colère: de nombreuses statues en ont pris pour leur grade récemment. Objets hautement symboliques, ces monuments suscitent souvent des réactions fortes. Décryptage.  

Valérie Passello

À Winnipeg, une statue représentant la reine Victoria a été recouverte de peinture rouge devant l'assemblée législative du Manitoba, avant d'être renversée. Elle a ensuite été laissée au sol, sous un drapeau canadien, sur lequel était inscrit en anglais «Nous étions des enfants», selon Radio Canada. Sa tête aurait été arrachée et lancée dans une rivière, selon cette même source. Une autre, représentant la reine Elizabeth II, a également été renversée.

Ces événements se sont produits le 1er juillet dernier, lors de la fête nationale du Canada. Les statues ont été prises pour cible par des manifestants, en réaction à la mise au jour, dernièrement, de nombreuses tombes d'enfants ayant séjourné dans des pensionnats autochtones. 



Des découvertes qui ravivent le traumatisme vécu par quelque 150'000 enfants amérindiens, métis et inuits, coupés de leurs familles, de leur langue et de leur culture et enrôlés de force jusque dans les années 1990 dans 139 de ces pensionnats à travers le pays.

Une colère «renversante»

C'est souvent sous le coup de la colère populaire que les statues finissent par se faire déboulonner. La colère contre le racisme, à la suite de l'affaire George Floyd et en lien avec le mouvement «Black Lives Matter», en a fait vaciller plus d'une sur son socle depuis l'an dernier.  

Le 7 juin 2020, Edward Colston, marchand d'esclaves du 17ème siècle, était malmené sauvagement par la foule avant d'être jeté à l'eau dans le port de Bristol, en Angleterre. Défiguré, mis à terre lui aussi, puis brûlé: le général confédéré sudiste Albert Pike n'a eu droit à aucune clémence dans la nuit du 19 au 20 juin 2020, à Washington DC. 

À Neuchâtel, le 13 juillet 2020, ce sont aussi des militants dénonçant les colonisateurs et les esclavagistes qui ont aspergé de peinture rouge -la couleur du sang des esclaves- la statue de David de Pury, un négociant ayant fait fortune au temps de l'esclavage.  

Et si, désormais, George Floyd a lui aussi sa statue, celle-ci n'est pas non plus à l'abri de la colère d'autrui.

Moins d'une semaine après son inauguration à Brooklyn, son buste se retrouvait tagué de peinture noire, un acte attribué à un groupuscule d'extrême droite.  

Des monuments lourds de sens

Plus que de simples représentations d'illustres personnages, les statues sont la matérialisation de valeurs, l'incarnation même de tranches d'histoire. Le fait de les abattre est une manière symbolique forte de manifester son désaccord avec les valeurs représentées ou avec les événements du passé. 

Et même si elles ne suscitent pas forcément la colère, ce qu'elles représentent provoque des réactions émotionnelles chargées. Autre exemple récent, celui de la statue de la princesse Diana inaugurée le 1er juillet dernier. Adulée par des millions de personnes près de 24 ans après sa mort, Lady Di ne devrait pas se faire déboulonner de sitôt.

Mais dès l'oeuvre révélée au public, les réactions outrées ont fusé dans les médias et sur les réseaux sociaux. «Mièvre», «Ratée», «Raide», «Horrible», «Fade, sans vie et sans âme» ou même «Kitsch avec une touche soviétique»: la force des mots utilisés pour décrire la statue témoigne de la déception des admirateurs de la princesse de Galles face à son image de bronze.

Dressées au milieu de nos vies, les statues peuvent être déguisées ou grimées pour passer des messages. Mises en scène sur des photos touristiques. Adorées. Mais aussi honnies ou bannies lorsque leur symbolique devient trop inacceptable dans une époque qui n'est plus la leur. Toutefois, jamais elles ne nous laissent indifférents.