«A contre-courant» Mario Matasci, vigneron et galeriste

ATS

13.8.2019 - 08:58

Mario Matasci, collectionneur d'art et producteur de vin, dans son «Deposito» à Riazzino, près de Locarno.
Mario Matasci, collectionneur d'art et producteur de vin, dans son «Deposito» à Riazzino, près de Locarno.
Source: KEYSTONE/ALESSANDRO CRINARI

Mario Matasci n'est pas seulement un pionnier du Merlot tessinois. Au cours des cinquante dernières années, il est devenu un collectionneur et galeriste important: un idéaliste hors du temps.

«La vraie tragédie n'est pas de mourir, mais d'être né.» C'est l'essence même de la poétique du peintre milanais Franco Francese (1920-1996), dont les toiles ont été exposées jusqu'en février dernier dans le dépôt de la Fondation pour l'Art de Cugnasco-Gerra, près de Locarno.

Elles font partie d'une grande collection comprenant des œuvres de peinture, sculpture et photographie. Dans le choix des pièces à collectionner, Mario Matasci a accordé une attention particulière aux courants informels et expressionnistes de nombreux artistes italiens, suisses et allemands dont Ennio Morlotti, Varlin, Käthe Kollwitz et Johannes Robert Schürch.

Au «Deposito», Mario Matasci reçoit chaque visite avec une hospitalité chaleureuse. Ses hôtes sont aussitôt surpris par la modestie avec laquelle il raconte ce qu'il a entrepris et vécu comme œnologue et par le calme, plein de mélancolie, avec lequel il explique ses choix d’amateur d'art et galeriste.

Tout au long de la visite, le propriétaire commente chaque tableau avec passion et amour, comme s'il présentait chaque fois un être cher. L'une des qualités de ce vigneron de Locarno est sans doute d’arriver à impliquer le visiteur et lui faire partager son univers en commentant en détail les toiles exposées.

Naissance d'un mécène

Né en 1931, Mario Matasci est le fils de Giuseppe, originaire de Sonogno, dans la vallée de Verzasca, et de Lucia Gianettoni. Son père était propriétaire, avec Carlo Balemi, de la cave à Tenero portant son nom.

Mario fréquente le Collège Papio d'Ascona, puis le lycée à Schwyz. «Je voulais devenir professeur de dessin, matière dans laquelle j'ai toujours obtenu d'excellentes notes.» Mais le destin en décide autrement: il se forme comme œnologue à Lausanne et effectue plusieurs stages dans le Piémont, à Canelli, et auprès de l'entreprise Schenk à Rolle (VD).

En 1956, après la mort subite de son père, il reprend les rênes de l'entreprise familiale avec ses frères Peppino et Lino. Il retrousse ses manches et se consacre entièrement à cette activité. Il n'a alors pas le temps de penser à autre chose. C'est seulement à la fin des années soixante, en 1969 plus précisément, que le hasard le met en contact avec le monde de l'art.

Dans une taverne de Losone appelée “Contrattempi”, un grand homme à la barbe épaisse et sombre, le peintre grison Erwin Sauter, approche l'entrepreneur de Tenero. Le peintre avoue au vigneron qu'il a besoin d'argent et lui propose l'achat d'un tableau d'une femme dormant sur des cailloux. Le travail, particulièrement énigmatique, suscite une sensation inattendue chez le vigneron. Ce tableau deviendra la première pièce d'une très grande collection d'environ un millier d'œuvres.

Les expositions à la cave

Sauter souhaite aussi présenter ses tableaux au public tessinois et demande à Mario Matasci de l'aider. Ce dernier accepte, motivé par le fait qu’à l’époque le Tessin manque d'un espace d'exposition dédié aux arts figuratifs.

Il voue donc ses caves de la Villa Jelmini à l’exposition proposée, la première d’une longue série. C'est un acte de mécénat authentique de l’oenologue, encore peu expert en art. Il se familiarisera ainsi avec une réalité riche en nuances inattendues et en contacts humains.

A partir de ce moment, en effet, de nombreux peintres de la région commencent à le contacter pour exposer dans les caves de son entreprise. Atterrir à “la Matasci” représente encore aujourd'hui un aboutissement et une reconnaissance publique.

Spontanéité

Un autre mérite de Mario Matasci a été de toujours agir de manière autonome et indépendante en mettant sa passion et ses connaissances à la disposition de ceux qui le désirent. Il a ainsi contribué à valoriser le travail d'artistes méritant d'être remarqués.

Le collectionneur n'a pas simplement pris possession de quelques toiles qu'il a ensuite rangées dans un endroit bien caché. Il a plutôt décidé de placer son trésor dans des espaces appropriés: le “Dépôt”, une galerie et une villa, des lieux toujours prêts à accueillir ceux qui veulent partager avec lui l'intérêt pour la peinture. «Si vous aimez vraiment ce qui vous appartient, vous êtes heureux si les autres peuvent le voir», confie-t-il à ses hôtes d'une voix calme, presque humble.

Aux étages supérieurs du négoce de vin à Tenero, où se trouve la Collection Matasci, il y a d'autres espaces ouverts à tous ceux qui souhaitent explorer le monde artistique de l'œnologue. L'entrée est gratuite, tout doit être aussi spontané que possible.

Le même principe s'applique au “Dépôt” de Cugnasco-Gerra, un salon lumineux entouré de verdure et équipé d'une vaste bibliothèque de livres d'art. Il a été ouvert en 2009 et est devenu le siège de la Fondazione Matasci per l’Arte. Ici sont placées, en alternance, les toiles patiemment recueillies en cinquante ans.

Un jubilé

Chaque exposition est accompagnée d'un catalogue, préparé autrefois par des intellectuels tessinois et lombards (dont Piero Bianconi, Virgilio Gilardoni, Giovanni Testori), puis par le collectionneur locarnais lui-même qui les publie dans ses propres éditions. L'exposition actuelle, intitulée «Caos, Cosmo, Colore. Tre capitoli lucreziani», marque un jubilé: cinq décennies depuis la première exposition à la Galleria di Tenero.

«J'ai toujours été attiré par les personnalités les plus cachées», aime à répéter le collectionneur. Ce n'est pas un hasard s'il a pu rencontrer personnellement presque tous les peintres qui ont signé les tableaux de sa collection. “Un tableau doit pouvoir me donner une émotion”, dit-il.

Par Tania Giudicetti-Lovaldi, ch-intercultur

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