«J'ai envie d'arrêter tous les jours mais une petite voix me dit que si un prédateur ne me parle pas, il va aller voir un enfant», confie «Neila Moore», une mère de famille qui traque les pédocriminels sur internet au sein d'un réseau citoyen.
"Neila Moore", à Lyon le 9 mars 2023
"Neila Moore", à Lyonle 9 mars 2023
"Neila Moore", à Lyonle 9 mars 2023
«Neila Moore», cyber-chasseuse de pédocriminels - Gallery
"Neila Moore", à Lyon le 9 mars 2023
"Neila Moore", à Lyonle 9 mars 2023
"Neila Moore", à Lyonle 9 mars 2023
Cette femme de ménage, elle-même autrefois victime, se consacre à la chasse en ligne au sein de la «Team Moore», groupe créé en 2019 qui affiche des dizaines de condamnations à son actif. «Neila» est son pseudonyme.
«Nul besoin de se poster à la sortie des écoles avec un paquet de bonbons: internet et ses réseaux sont une porte d’entrée tellement facile…», déplore cette Lyonnaise de 38 ans aux cheveux rouges, qui se raconte dans un livre récemment publié, «Les prédateurs sont dans la poche de vos enfants» (Editions Télémaque).
Il y a quatre ans, elle se lie avec «Steeve Moore», cyber-chasseur de La Réunion qui lance un appel à la mobilisation sur son blog, révolté par l'impunité des chasseurs d'enfants en ligne.
Un mois plus tard, elle donne naissance à son premier avatar sur Facebook – Lina, 13 ans. C'est le choc: des dizaines d'adultes se manifestent. Parmi eux, un prédateur passe aux avances après quelques échanges amicaux. Le premier «client» est ferré et la «Team Moore» est née.
La méthode s’inspire de collectifs anglo-saxons actifs notamment Angleterre, où «la moitié des arrestations de pédocriminels sont le fait de citoyens ordinaires», assure «Neila».
Le modus operandi est immuable: création de faux comptes de jeunes adolescent(e)s avec photos, stories, likes et abonnements divers. La magie de l'algorithme opère: très vite, les potentiels «amis» adultes se manifestent, puis se compromettent.
«Plusieurs prédateurs ont expliqué devant les tribunaux avoir trouvé leurs cibles grâce aux suggestions d'amis de Facebook, qui n'a jamais donné d'explication officielle» sur ce dysfonctionnement, déplore «Neila».
Pas d'incitation
L'éclosion de ces groupes citoyens en France a d'abord été fraîchement accueillie par les autorités. Véronique Béchu, de l'Office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP), les avait même déclarés «hors la loi» en 2020, pointant le danger de leur amateurisme.
Mais «les propos condescendants et moqueurs» dans les commissariats s'estompent progressivement. Plusieurs procureurs ou élus, comme la députée Modem-Ensemble Maud Petit, ont apporté un «précieux soutien». Avec l'appui de cette dernière, la «Team Moore» a été reçue cette semaine par le ministre délégué au Numérique Jean-Noël Barrot.
Surfant sur un fort intérêt médiatique, le groupe qui compte aujourd'hui une cinquantaine de chasseurs, reçoit de nombreuses candidatures, ce qui l'a conduit à créer une plateforme en ligne permettant de former quelque 1.600 cyber-traqueurs dans le monde.
La méthode «Team Moore» est désormais éprouvée, avec quelques passages obligés comme des scénarios de vies crédibles, accompagnés de connections conformes à celles des adolescent(e)s dans leur contenu comme dans leur fréquence.
Il y a aussi des écueils à proscrire, comme l'incitation ou l'usurpation d'identité. A défaut, «le dossier tombe à l'eau», expose «Neila».
Aujourd'hui, son livre présenté sous la forme d'un journal, doit supplanter la plateforme et servir de manuel aux citoyens souhaitant s'engager. En attendant que «l'Etat honore sa promesse de s'attaquer davantage aux agresseurs en ligne et que les peines encourues par ces derniers deviennent plus sévères», explique la mère de famille.
«Addictif et destructeur»
Depuis sa création, la Team Moore a remis 130 dossiers à la justice se traduisant par environ 80 arrestations et une quarantaine de condamnations dans plusieurs pays. Le tout sans aide extérieure. «On veut montrer qu'on arrive à faire quelque chose sans moyens, que c'est une question de volonté», souligne «Neila».
Mais la chasse aux prédateurs peut éreinter. Si cette femme au physique fluet se dit «blindée» face aux assauts parfois très crus des délinquants, elle décrit un quotidien aussi «addictif que destructeur» qui «empiète sur (s)on travail et (s)a vie privée».
Aujourd'hui, elle se repose davantage sur l'équipe et s'astreint aux coupures réclamées par ses trois enfants.
Selon la Ciivise, une commission indépendante, 160.000 enfants sont victimes d'inceste ou de violences sexuelles chaque année en France. «Neila», elle, espère qu'un jour «la peur changera de camp».
AFP