Portrait Nourredine Guerbati, un berger urbain venu du Sahara en France

AFP

14.5.2021 - 11:21

«Tous les prophètes l'ont fait: il faut avoir exercé le noble travail de berger pour devenir responsable». Né dans une famille d'éleveurs de chameaux du Sahara algérien, Nourredine Guerbati est un pâtre urbain pratiquant avec son troupeau l'entretien écologique des espaces verts français.

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Depuis mars, ce berger moderne est installé dans une caravane mise à disposition par l'entreprise Ecozoone, pionnière de l'écopâturage, dans le parc de la Grande Lironde à Montpellier.

Avec ces six hectares peuplés d'essences et d'une faune remarquables, ce parc est pourtant situé en pleine zone urbaine, entre immeubles et zone commerciale. 

Cet homme mince, chaleureux et volubile aux cheveux poivre et sel gère au quotidien un troupeau d'une vingtaine de moutons dont «Muguet», un Mérinos né à Montpellier. Il a divisé le parc en 12 parcelles et installe les bêtes dans un enclos mobile où elles «se régalent» régulièrement de «nouveaux plats». 

Le concept de l'écopâturage

Le berger âgé de 58 ans accueille aussi les visiteurs pour leur expliquer le concept populaire de l'écopâturage. «Cela rapproche la campagne de la ville, ça a vraiment un impact positif pour les enfants et les familles, c'est une thérapie en pleine ville», explique-t-il avec conviction. 

Né le 21 octobre 1962 dans le grand sud algérien à El Goléa (aujourd'hui El Menia), connue pour son vieux ksar, sa palmeraie et ses dunes dorées, Nourredine s'inscrit dans la tradition familiale. 

Son père était commerçant au bazar et sa mère tissait des tapis traditionnels, mais ses grands-pères étaient bergers-éleveurs de chameaux et distribuaient l'eau dans les campements du Grand Erg occidental. Ils avaient aussi des moutons et des chèvres. 

Aujourd'hui divorcé, Nourredine Guerbati s'était installé en France en 2007 avec son épouse franco-belge rencontrée en Algérie. Depuis, il a fait plusieurs allers-retours entre France et Algérie.

«Extrêmement sensible»

«En France, je n'ai pas pu faire valider mon diplôme de conseiller éducatif, j'ai essayé de travailler à droite à gauche mais c'était difficile et je n'ai pas hésité en 2019 quand on m'a proposé ce travail de berger car je connaissais ça depuis l'enfance», raconte-t-il.

«Nourredine est une personne extrêmement sensible», souligne Marjorie Deruwez, sa responsable à Ecozoone, qui emploie une vingtaine de bergers en saison. «En plus de ses capacités en matière de soins aux animaux, il a une immense écoute de l'humain, il aime les gens, ce qui en fait un excellent berger urbain».

«Signature d'artiste»

«J'aimerais que les jeunes s'orientent vers ce métier-là qui est passionnant car il a de multiples facettes: il faut être vétérinaire, gynécologue, s'y connaître dans la gestion et la surveillance des troupeaux et dans l'alimentation», énumère le quinquagénaire qui chaule également les arbres du parc pour les soigner naturellement et débarrasser de leurs parasites les brebis qui viennent se frotter contre les écorces. 

Perfectionniste, le berger, rémunéré de 1.600 à 1.800 euros net par mois, forme une équipe efficace avec son troupeau pour débroussailler des voix ferrées ou entretenir des parcs en luttant notamment contre des plantes invasives comme la Renouée du Japon ou l'ambroisie. Et évite ainsi l'emploi d'engins mécanisés consommant du carburant. 

«Quand on passe dans une parcelle après c'est nickel, c'est comme une feuille blanche», assure-t-il. «Moi j'appelle ça une finition de tableau avec signature d'artiste», sourit-il. 

L'être humain s'adapte

Car, sous le nom de Nourel, le berger urbain compose aussi des tableaux en fibre de palmiers – la technique du lif – rappelant notamment l'art rupestre préhistorique du Tassili n'Ajjer, massif montagneux à l'aspect lunaire situé au sud-est de l'Algérie, aux confins de la Libye, du Niger et du Mali. A travers son expression artistique, il souhaite «rendre hommage à la civilisation tassilienne». 

Profondément attaché à son Sahara natal, le berger basé en Ardèche évolue aujourd'hui dans des paysages urbains très différents à travers la France. En juillet, il quittera Montpellier avec son troupeau pour rejoindre Dijon, Lille ou Nîmes. «L'être humain s'adapte toujours aux gens et aux endroits», assure cet enfant du désert.