Supplice au Bangladesh«Où est mon mari ? Donnez-moi son corps»
AFP
22.7.2024
Fatema Begum a pleuré quand elle a appris à l'hôpital que son mari avait été tué dans les manifestations qui secouent le Bangladesh depuis près d'une semaine. Elle a pleuré encore quand on a refusé de lui remettre son corps.
AFP
22.07.2024, 08:01
Gregoire Galley
Au moins 155 personnes sont mortes depuis mardi dans des affrontements entre forces de l'ordre et étudiants qui manifestent contre le système d'accès aux emplois publics. Religion majoritaire dans ce pays d'Asie du Sud, l'islam dicte pourtant que toute personne décédée soit enterrée au plus vite.
Mais le personnel de l'hôpital Dhaka Medical College, le plus grand de la capitale du Bangladesh, ne peut remettre les corps des défunts à leurs proches sans une autorisation de la police, difficile à obtenir.
«Où est mon mari? Donnez-moi son corps», crie la veuve de 40 ans devant la morgue de l'hôpital, les larmes coulant sur ses joues. Son mari, Kamal Mia, 45 ans, gagnait difficilement sa vie comme conducteur de rickshaw dans la mégapole tentaculaire de 20 millions d'habitants, à environ un dollar la course. Il fait partie de la soixantaine de personnes dont le décès a été enregistré dans cet hôpital.
Sa famille affirme qu'il n'a pris part à aucun des affrontements qui ont provoqué les dégâts considérables constatés dans la ville, mais qu'il a été tué par des tirs isolés de la police.
Pour obtenir l'autorisation de récupérer le corps, Fatima Begum et ses filles ont été invitées à se rendre dans un poste de police, près de l'hôpital. Mais le commissariat était fermé et barricadé, après les dizaines d'incendies qui ont visé des postes de police les jours précédents.
Sa fille Anika s'est alors rendue dans un autre poste de police, un peu plus loin, bravant pour cela le couvre-feu imposé dans tout le pays. Mais la police a refusé de lui accorder l'autorisation de récupérer le corps de son père. «Mais mon père ne faisait pas partie des manifestations. Pourquoi devait-il mourir?», se lamente Anika.
Avec l’afflux incessant de blessés depuis le début de la répression policière, l'hôpital a atteint ses limites. Les ambulances, voitures et rickshaws transportant des blessés arrivaient jusqu'à une fois par minute à certains moments, a constaté un correspondant de l'AFP sur place.
La porte d’entrée des urgences, gardée par les paramilitaires du Bangladesh Ansar, est tachée de sang. Certains blessés, atteints par des tirs de balles en caoutchouc, reçoivent les premiers soins, tandis que les autres doivent attendre les médecins de garde, parfois durant des heures.
D'autres sont morts avant même d'atteindre l'hôpital et leurs proches fondent en larmes devant le médecin ou l'infirmière qui leur annonce leur décès. Un groupe de volontaires a volé au secours des urgences, à cours de sang, en appelant au don à l'aide de mégaphones.
Pour les dizaines de personnes endeuillées présentes à l'hôpital, la violence de la répression policière a suscité une colère immense contre le gouvernement de la Première ministre Sheikh Hasina.
«La police d'Hasina a tué mon fils pour la maintenir au pouvoir», a déclaré à l'AFP le père d'un commerçant de 30 ans abattu dans la capitale, qui a tenu à garder l'anonymat. «Dieu la punira pour cet injustifiable supplice», a-t-il ajouté.