Quand l'arche de Noé se transforme en Titanic Pourquoi les animaux du zoo de Buenos Aires doivent-ils souffrir?

AP

7.9.2018

Inauguré il y a 140 ans, le zoo de Buenos Aires a fermé ses portes en 2016, mais des centaines d'animaux continuent à y vivre et à y mourir — pour des raisons étranges.

Shaki avait 18 ans lorsqu'elle est morte — trop jeune pour une girafe. Quant à la femelle rhinocéros Ruth, immobilisée dans la boue pendant des heures, on n'a rien pu faire pour la sauver: les récents décès survenus dans l'ancien zoo ont provoqué l'indignation des défenseurs de la cause animale.

Le reproche fait par les défenseurs de la cause animale à la municipalité: la transformation de ce zoo vieux de 140 ans en écoparc moins coûteux et le transfert de la majeure partie des 1500 animaux dans un centre de protection ont fait l'objet d'une organisation désastreuse.

Dans un de ses courriers, une alliance composée de plus d'une douzaine de groupes environnementaux et d'organisations vétérinaires s'est plainte de l'«état d'abandon» dans lequel se trouve l'infrastructure.

Depuis 2016, quelque 200 animaux sont morts sur place. Suite à la mort de Shaki et Ruth, un ancien directeur du zoo a même porté plainte et demandé l'ouverture d'une enquête. C'est le manque de soins et le stress engendré par le bruit d'un chantier tout proche qui a contribué au décès des animaux, explique l'ancien directeur Claudio Bertonatti.

«Pas une arche de Noé, mais le Titanic»

«Il y a un an, j'ai fait remarquer que cette infrastructure n'était pas l'arche de Noé, mais le Titanic en voie de collision», déclare Claudio Bertonatti, qui travaille désormais en tant que conseiller pour l'organisation non-gouvernementale Fundacíon Azara. «Aujourd'hui, nous avons percuté l'iceberg.»

Le zoo en question a été inauguré en 1875 en périphérie de Buenos, dans une zone alors relativement tranquille. Le parc animalier est ensuite devenu l'un des endroits préférés de l'écrivain argentin Jorge Luis Borges, qui était fasciné par les tigres et en avait fait un de ses sujets de prédilection. Cependant, la métropole s'est développée et le zoo s'est retrouvé pris au piège d'un réseau de routes fort fréquentées. Le bruit des klaxons et des dérapages a fini par envahir les enclos.

Une fermeture plus compliquée que prévu

Aujourd'hui, les visiteurs ne trouveront plus au sein du parc qu'un lion solitaire qui court après sa queue. Selon les normes modernes, ce complexe vétuste était l'incarnation de la cruauté animale, tout comme l'environnement bruyant et l'air pollué du centre-ville. Nombreuses sont les organisations de protection des animaux à s'être battues pour la fermeture du parc.

«La vie en captivité est dégradante pour les animaux et ce n'est pas de cette façon qu'il faut s'en occuper», avait déclaré le chef du gouvernement de la ville Horacio Rodriguez Laretta au moment de l'annonce de la fermeture du zoo en 2016. Cependant, la recherche d'un nouvel hébergement pour les animaux s'est révélée compliquée. Aujourd'hui, deux ans plus tard, des centaines d'entre eux occupent toujours leurs vieilles cages et enclos bruyants.

Les exploitants municipaux de l'écoparc, comme s'appelle aujourd'hui l'infrastructure, soulignent les améliorations apportées à l'hébergement. En outre, le site de 18 hectares a été fermé aux visiteurs pour réduire le stress des animaux. Pour l'instant, environ 430 d'entre eux ont été transférés.

Des problèmes législatifs et logistiques

Parmi ces animaux, deux grizzlis, trois alligators et un iguane, qui ont été accueillis par des zoos et des centres de protection américains. Des employés de la municipalité ont reconnu que la fermeture du zoo s'annonçait plus compliquée que prévu. Ainsi, de nouvelles lois ont d'abord dû être adoptées pour permettre le transfert des animaux.

Des spécialistes craignaient que les animaux, tellement habitués au zoo, ne survivent pas au déménagement. Si plusieurs d'entre eux n'ont pas été transférés, c'est également pour des raisons logistiques — ils étaient trop imposants pour le transport.

Ce fut notamment le cas des girafes: Shaki, son compagnon Buddy et son petit Ciro. Cependant, rien ne laissait penser que Shaki était en danger de mort. En liberté, les girafes peuvent atteindre l'âge de 25 ans. Le vétérinaire Guillermo Wiemayer, qui a travaillé dans l'ancien zoo pendant plus de dix ans, déclare: «Elle avait encore de nombreuses années devant elle».

Une rhinocéros immobilisée dans la boue

Shaki a commencé à montrer les premiers signes de maux d'estomac le matin du 24 juillet. Elle est morte six heures plus tard. L'autopsie a mis au jour un ulcère gastrique ayant entraîné une péritonite.

Dix jours plus tôt, c'est Ruth qui succombait à une infection de l'abdomen qui s'était propagée. D'après Guillermo Wiemayer, la rhinocéros souffrait de problèmes respiratoires et de diarrhée et avait été légèrement blessée par un de ses congénères masculins. Mais globalement, l'état de Ruth avait fini par s'améliorer.

Son enclos ayant ensuite été inondé, elle a glissé et s'est retrouvée immobilisée dans la boue. Pendant plus de six heures, les gardiens du zoo ont tenté désespérément de libérer l'animal de sa fâcheuse posture, notamment au moyen d'une Jeep. Lorsqu'ils ont finalement réussi à la sortir de là, Ruth était déjà trop affaiblie.

Beaucoup de personnel par animal

Pour le vétérinaire Guillermo Wiemayer, la mort de l'animal n'a toutefois rien à avoir avec un changement d'alimentation, le stress ou le bruit. «Tant qu'ils sont sous notre protection, nous essayons de leur offrir la meilleure qualité de vie qui soit», explique-t-il alors que Ciro, le girafon orphelin, tend sa longue langue grise vers la nourriture.

Claudio Bertonatti a également accompagné sa plainte de vidéos attestant de la présence de rats et de cafards dans plusieurs enclos. Les exploitants du parc reconnaissent que les vidéos ont été enregistrées sur place, mais que cela s'est passé bien des années avant la reprise du parc par la ville en 2016. La nourriture qui reste à l'air libre attire les rats, c'est inévitable, ont-ils expliqué. La direction de l'écoparc tenterait cependant de venir à bout de ce fléau.

«Avant la mort de la girafe et du rhinocéros, le bien-être des animaux n'avait jamais fait l'objet d'aucune critique», explique le chargé de projet municipal Gonzalo Pascual. Dans le parc, il prévoit la mise en place de modules d'apprentissage interactifs, d'espaces verts ainsi que d'hébergements pour les animaux ne pouvant pas être relogés. «Ici, plus de 130 personnes s'occupent du bien-être des animaux», précise Gonzalo Pascual. «L'écoparc est le seul parc du monde à déployer autant de personnel par animal.»

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