BélarusPrivés de passeport, plus de 100'000 exilés perdent espoir
ATS
1.11.2023 - 08:39
Quand la police a commencé à frapper aux portes pour débusquer des participants aux manifestations contre la réélection d'Alexandre Loukachenko en 2020, Maxime Issaïev savait que son départ du Bélarus serait un voyage sans retour.
Keystone-SDA
01.11.2023, 08:39
ATS
Comme des dizaines de milliers de ses concitoyens, cet ingénieur de 32 ans s'était joint au mouvement d'une ampleur inédite réclamant des élections libres. Depuis sa fuite du pays, il est recherché.
«Je sais qu'ils sont allés à mon domicile au Bélarus», raconte Maxime à l'AFP à Varsovie, où il habite avec sa femme et ses deux enfants. Depuis 2020, des centaines de militants, journalistes, défenseurs des droits ou citoyens ordinaires ont été condamnés à de lourdes peines de prison ou poussés à l'exil, notamment vers la Pologne.
Entre 100'000 et 200'000 Bélarusses ont fui la répression, selon une estimation des autorités françaises. Alexandre Loukachenko, lui, n'a qu'une seule obsession: que ceux qui ont fait vaciller son pouvoir ne puissent plus jamais revenir.
Retour pas envisageable
En janvier, il a signé une loi autorisant la justice à déchoir de leur nationalité les dissidents jugés «extrémistes» vivant à l'étranger et, en septembre, il a empêché les ambassades du Bélarus de pouvoir renouveler leurs passeports. Cette décision va considérablement compliquer le quotidien des exilés, leur créant des difficultés pour voyager, accéder aux services publics, ouvrir des comptes bancaires ou obtenir un travail.
«Si les gens sont obligés de retourner au Bélarus, beaucoup d'entre eux seront exposés à des violations de leurs droits, tels que des arrestations arbitraires et de la torture», avertit auprès de l'AFP Anaïs Marin, rapporteure spéciale de l'ONU sur la situation des droits humains au Bélarus.
Pour Maxime, qui craint d'être accusé de multiples délits s'il venait à rentrer, le retour n'est tout simplement pas envisageable. «Il y a plus de dix chefs d'inculpation dont je pourrais être accusé», explique-t-il.
Mal du pays
«Des personnes (qui) se rendaient aux funérailles de leurs proches (...) ont été arrêtées et jetées en prison», prend pour exemple Helena Niedzwiecka, fondatrice du Centre de solidarité bélarusse qui aide les exilés en Pologne. «Vous pouvez être emprisonné pour avoir 'aimé' un post sur les réseaux sociaux en 2020», affirme-t-elle.
Pour Loukachenko, les Bélarusses vivant à l'étranger sont des «criminels». Mais pour ses opposants, c'est le pouvoir qui a coupé les ponts avec eux. «Mon contrat avec mon pays a pris fin en 2020», explique Inga Okava, une ancienne bénévole de 49 ans qui a été emprisonnée pour avoir tenté de surveiller les élections, où «tout a été truqué», selon elle.
Elle a initialement fui en Ukraine puis en Pologne après l'invasion russe, et a depuis reçu un titre de séjour temporaire. Mais le document expirera l'an prochain, et son pays natal lui manque terriblement.
«Je n'ai certainement pas l'impression de faire partie de la communauté polonaise», dit Inga, sans emploi, qui se dit encore souvent qu'elle «va rentrer». Maxime dit aussi se sentir toujours 100% Bélarusse: «Je n'ai pas été abandonné par mon pays, j'ai été abandonné par mon Etat».
«Nouveau Bélarus»
La décision de bloquer le renouvellement des passeports à l'étranger a provoqué un petit vent de panique parmi les exilés, qui peuvent toutefois compter sur l'aide européenne et de l'opposition en exil.
La meneuse de cette opposition, Svetlana Tikhanovskaïa, candidate face à M. Loukachenko en 2020, a dévoilé un passeport du «Nouveau Bélarus», appelant les personnes dont les papiers arrivaient à expiration à ne «pas prendre le risque» de retourner au pays.
«D'ici quelques mois, les premiers exemplaires seront délivrés», a-t-elle annoncé à l'AFP, disant espérer que l'UE accepterait ces documents. «C'est une super idée, mais je ne vois pas comment cela sera possible à mettre en place dans l'année qui vient», temporise Olga Dobrovolskaïa, en charge des questions juridiques au Centre de solidarité bélarusse à Varsovie.
La Pologne et la Lituanie ont déjà proposé aux Bélarusses exilés des documents de voyage temporaires, leur permettant de bénéficier des mêmes protections que celles accordées aux apatrides. Mais pour beaucoup d'entre eux, l'idée de ne plus pouvoir rentrer dans leur pays reste très douloureuse. «Ma maman me manque», raconte Helena Niedzwiecka. «Je ne l'ai pas vue depuis cinq ans. Mais je sais que ce ne sera pas plus facile pour (elle) si j'y vais et que je me fais emprisonner».