Un dossier pour chaque homme Procès des viols de Mazan: le mari méticuleux allié involontaire des enquêteurs

AFP

4.9.2024

Quand l'accusé principal devient le meilleur allié des enquêteurs: sans Dominique P., qui consignait méticuleusement les milliers d'images des viols de son épouse, par des hommes qu'il recrutait sur internet, après avoir assommé celle-ci à coups d'anxiolytiques, ses agresseurs n'auraient peut-être jamais été identifiés.

Caroline Darian (à droite) et son frère Florian P. arrivant au palais de justice lors du procès de leur père.
Caroline Darian (à droite) et son frère Florian P. arrivant au palais de justice lors du procès de leur père.
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Après plus de deux ans d'investigation, ce sont finalement 54 hommes, sur les 72 recherchés, qui ont pu être formellement confondus par les enquêteurs, dirigés par le commissaire divisionnaire Jérémie Bosse Platière. Mais l'un est depuis décédé, et deux ont été mis hors de cause, faute de preuves suffisantes.

51, dont le mari, sont donc jugés, depuis lundi et jusqu'au 20 décembre, devant la cour criminelle de Vaucluse, pour viols aggravés pour la plupart, entre 2011 et 2020, principalement à Mazan, ce village du Vaucluse où le couple avait déménagé en mars 2013. Des faits pour lesquels ils encourent jusqu'à 20 ans de réclusion criminelle.

Au total, quelque 200 viols ont été recensés sur Gisèle P., 72 ans. La plupart par son mari, 92 par ces parfaits inconnus. Restait à identifier ces hommes, comprendre le scenario ayant conduit à ces abus, et caractériser les faits reprochés à chacun.

Un dossier «abus» et un sous-dossier pour chaque homme

Pour cela, «j'ai fait le choix de constituer une équipe très restreinte de quatre enquêteurs», a expliqué à la barre M. Bosse Platière, désormais directeur de la police interdépartementale (DIPN) des Hautes-Alpes: «Et j'ai choisi des gens suffisamment solides pour affronter les images», a-t-il insisté, détaillant leur longues et fastidieuses recherches.

Celles-ci ont été fortement facilitées par les milliers de photos et vidéos prises par le mari, enregistrées sur un disque dur puis méticuleusement décrites -avec prénom, âge, voire numéro de téléphone- et classées dans un dossier «abus». Avec un sous-dossier pour chaque homme venu violer son épouse.

«Une liste va alors être dressée pour chaque individu, en fonction du nom du dossier», précise le commissaire. Objectif: identifier «Chris le pompier», «Quentin», «Gaston», «David le Black», «jeanlucasiat», «Momo Ile de Ré» (NDLR: un des viols a eu lieu dans la résidence secondaire de la fille du couple) ou encore «le motard».

En parallèle, les policiers se servent des nombreuses traces laissées par les échanges téléphoniques et les conversations entre le mari et les agresseurs de son épouse. Celles-ci démarraient en ligne, sur Coco.fr, puis elles basculaient sur «à son insu», un salon d'échanges privé de ce site de rencontres fermé depuis juin par la justice pour être un «repaire de prédateurs» ; enfin elles se poursuivaient sur Skype puis par téléphone.

«Un grand nombre de contacts sont bloqués»

Une première liste de 11 contacts est ainsi identifiée sur le logiciel de Microsoft. Les policiers envoient alors des requêtes au géant américain pour identifier les adresses IP et trouver leurs propriétaires.

Même procédé pour les téléphones: «On va partir des numéros (sur les factures téléphoniques de Dominique P.) et regarder à chaque date s'il y a un lien entre l'appel passé et les faits retrouvés» sur les images, explique M. Bosse Platière.

Dominique P. avait également bloqué de nombreux contacts sur ses téléphones, éveillant les soupçons des enquêteurs: «C'est inhabituel, on voit qu'un grand nombre de contacts sont bloqués, et on pense que dans le lot des gens seraient concernés» par les viols, poursuit le policier.

Pour remonter aux identités de ces hommes, les enquêteurs sollicitent les opérateurs téléphoniques, «un travail qui va s'étaler sur quasiment deux années».

Une autre méthode consiste à extraire les images retrouvées et à s'aider de la reconnaissance faciale, via un logiciel utilisé par la police nationale: «À partir de l'extraction de la photo, cela va nous donner un taux de ressemblance. Cela va nous permettre d'identifier un tiers des auteurs», explique Jérémie Bosse Platière.

Portrait-robot de Dominique P. (D) lors de son procès.
Portrait-robot de Dominique P. (D) lors de son procès.
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Cinq vagues d'interpellations

Devant l'ampleur du nombre de personnes soupçonnées, les policiers vont devoir étaler leurs interpellations en cinq vagues, entre fin 2020 et septembre 2021.

A chaque fois, avant les viols, les enquêteurs décrivent un même scénario: l'homme invité doit se garer à l'écart du domicile, pour ne pas éveiller les soupçons des voisins. Certains attendrons ainsi «jusqu'à une heure», le temps que le somnifère fasse effet sur la victime.

Enfin, à aucun moment un contact préalable n'est effectué par ces hommes avec la victime, affirme le policier, se basant sur l'exploitation des vidéos. Contredisant ainsi les dires de plusieurs accusés, qui maintiennent qu'ils n'ont fait que participer au scénario d'un couple libertin.