Stress et anxiété Le «worry gap» ou la propension plus forte des femmes à s'inquiéter

Relax

21.12.2023 - 23:00

(ETX Daily Up) – Voici un écart de genre dont on parle peu, mais qui reste très ancré dans nos sociétés: les femmes sont plus fortement exposées au stress et à l'anxiété que les hommes. Un constat qui ne date pas d'hier et qui, contrairement à certaines théories, s'explique davantage par des facteurs socio-culturels que par des causes biologiques.

Les femmes sont plus fortement exposées au stress et à l'anxiété que les hommes. Un écart de genre très ancré dans nos sociétés, que les anglophones nomment "worry gap"
Les femmes sont plus fortement exposées au stress et à l'anxiété que les hommes. Un écart de genre très ancré dans nos sociétés, que les anglophones nomment "worry gap"
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Ces dernières années, les rapports sur la santé mentale des Français se multiplient, indiquant la plupart du temps une altération de celle-ci, surtout depuis la pandémie. Mais les femmes semblent systématiquement plus concernées que les hommes. Durant le premier confinement, 31,6% des femmes se disaient angoissées, contre seulement un homme sur cinq (21,3%), selon les résultats d'une enquête réalisée par Santé publique France et l'École des hautes études en santé publique (EHESP). Même constat dans une étude publiée en 2021, cette fois réalisée aux États-Unis, où des chercheurs de l'école de médecine de l'université de l'Indiana ont remarqué des troubles anxieux «deux fois plus fréquents» chez les femmes que chez les hommes. «Les facteurs sociaux et culturels jouent probablement un rôle important dans le développement de l'anxiété chez les femmes», note Thatiane De Oliveira Sergio, professeure en psychiatre et autrice principale de cette recherche. Mais ce diagnostic s'avère bien antérieur à la pandémie: en 2016, une recherche anglaise réalisée par des chercheurs de l'université de Cambridge est parvenue à la conclusion que les femmes étaient presque deux fois plus susceptibles de souffrir d'anxiété que les hommes.

Ce phénomène porte même un nom: le «worry gap». Signifiant «l’écart d’inquiétude» en français, le terme anglophone désigne donc la propension plus forte des femmes à s’inquiéter ou à ressentir de l’anxiété. Selon le Baromètre 2023 du groupe français de protection sociale Malakoff Humanis (qui a choisi d’analyser la question de la santé mentale au travail sous le prisme du genre), 44% des femmes salariées se disent en moins bonne santé psychologique (contre 32% des hommes). Cette santé mentale altérée au travail peut s’expliquer par plusieurs facteurs, à commencer par celui de la rémunération. En 2022, les femmes ont gagné en moyenne 14,1% de moins que les hommes dans le secteur privé, selon des estimations de l'Insee. Et les difficultés financières des femmes pèsent de plus en plus lourd dans la balance. Une enquête publiée début décembre par le Secours populaire révèle d'ailleurs que 46% des femmes ont été touchées par au moins un trouble psychologique au cours des douze derniers mois, principalement à cause de leur situation financière instable (contre 41% de leurs homologues masculins).

Mais ce mal-être croissant découle également d'une croyance genrée et solidement ancrée dans la société selon laquelle les femmes seraient «naturellement» plus empathiques et attentives aux soucis des autres, et donc plus «à même» de s'impliquer sur le plan émotionnel. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si les femmes sont surreprésentées dans les professions de soin et d'aide à la personne (le fameux «care"). Or, «le secteur de la santé et du médico-social, dans lequel les femmes sont davantage représentées, est l’un des plus pénibles physiquement et psychologiquement», souligne l'enquête de Malakoff Humanis.

Malheureusement, le worry gap s'étend bien au-delà de la sphère professionnelle. Une enquête OpinionWay dévoilée à l'approche des fêtes par Elle Active & L’Oréal Paris, révèle que près de neuf Françaises sur dix (86%) considèrent que la vie au quotidien est difficile en tant que femme. Plus des deux tiers d'entre elles (68%) affirment ne pas se retrouver dans les valeurs prônées par la société, et plus de huit sur dix (82%) considèrent que les injonctions faites aux femmes, qu'elles concernent la maternité, les standards de beauté, ou la position sociale, pèsent encore lourd sur leurs épaules aujourd'hui. À cela, s'ajoutent les violences sexistes et sexuelles. Selon des chiffres mentionnés dans un rapport de l'ONU Femmes en 2021, 45% des femmes ont déclaré qu’elles-mêmes ou une femme de leur entourage avaient subi une forme de violence, tandis que six femmes sur dix ont le sentiment que le harcèlement sexuel dans les espaces publics s’est aggravé.

Charge mentale au travail et à la maison

Un autre aspect, moins connu (mais non moins réel), est mentionné par certains experts: celui d’anticiper. Comme le souligne un article récemment publié par le site Welcome to the Jungle, le fait de s'inquiéter peut aider à éviter les soucis. Une qualité bien utile, mais qui passe inaperçue dans une société valorisant davantage les personnes capables de réagir rapidement et de résoudre les problèmes lorsqu'ils se présentent (qualitatif qui va davantage être associé aux hommes, surtout au travail). En plus de ne pas être reconnu comme une véritable faculté, le fait de tout anticiper accroît un peu plus la charge mentale des femmes.

Mais bien sûr, cette charge mentale ne se manifeste pas uniquement au travail. Elle est même encore plus prononcée à la maison, puisque les tâches domestiques et familiales, invisibles et non rémunérées, incombent encore majoritairement aux femmes, ce qui ne fait qu'accroître leurs niveaux de stress et d’anxiété, comme l'ont souligné de nombreux psychiatres et thérapeutes. «Les hommes aussi sont stressés, mais la différence pour les femmes réside dans la nature et l'étendue des responsabilités, en particulier dans l'environnement familial», analyse l'Américaine Erin Joyce, thérapeute pour les femmes et les couples, dans un article du New York Times publié en 2018.

Pour en sortir, l'un des principaux leviers à activer consiste à viser un partage plus équitable des tâches ménagères au sein des foyers. L'écart tend toutefois à se réduire, comme l'a démontré un rapport de l'Institut européen pour l'égalité des genres, publié en octobre dernier. Les femmes sont 68% à s'occuper tous les jours de la cuisine et du ménage, contre 80% en 2015. Du côté des hommes, 43% disent mettre la main à la pâte, contre 36% sept ans plus tôt. Mais la réduction de ce fossé est principalement liée au recours des services d'aide à domicile, qui s'est amplifié depuis la pandémie. En d'autres termes, si la charge mentale entre les deux sexes se réduit, c'est d'abord parce que les femmes en font moins qu'avant à la maison et non parce que les hommes en font plus...