L'enfer des «devadasi» Yellamma, cette déesse hindoue qui autorise l'esclavage sexuel

ATS

24.1.2023 - 08:00

Huvakka Bhimappa n'avait pas 10 ans quand, soumise par ses parents à la dévotion de la déesse hindoue de la fertilité, elle a dû faire le sacrifice de sa virginité. D'abord violée par son oncle, elle a ensuite dû endurer un esclavage sexuel pendant des années.

Surekha Kamble est une travailleuse du sexe devadasi depuis l'âge de seize ans. Sa mère était une travailleuse du sexe devadasi et, comme le veut la tradition, elle et sa sœur sont également devenues devadasis. Elle est aussi éducatrice pour les pairs et s'efforce de sensibiliser sa communauté au VIH/sida et à d'autres maladies sexuellement transmissibles. (archives)
Surekha Kamble est une travailleuse du sexe devadasi depuis l'âge de seize ans. Sa mère était une travailleuse du sexe devadasi et, comme le veut la tradition, elle et sa sœur sont également devenues devadasis. Elle est aussi éducatrice pour les pairs et s'efforce de sensibiliser sa communauté au VIH/sida et à d'autres maladies sexuellement transmissibles. (archives)
imago images/ZUMA Wire

Keystone-SDA

La petite fille était devenue ce que l'on appelle dans la culture du sud de l'Inde, une «devadasi» et, à ce titre, un mariage avec un mortel était désormais proscrit. Son initiation sexuelle fut, comme de coutume, confiée à un homme plus âgé, en échange d'argent ou de cadeaux.

«Dans mon cas, ce fut le frère de ma mère» en échange d'un sari et de quelques bijoux, raconte à l'AFP Huvakka Bhimappa, proche de 50 ans aujourd'hui.

Bientôt, sous prétexte de dévotion à la déesse Yellamma, elle fut soumise à d'autres hommes qui payaient ses faveurs sexuelles. Cette prostitution, qui ne dit pas son nom, a entretenu ainsi sa famille pendant plusieurs années.

Source de revenus

«Si je n'avais pas été une devadasi, j'aurais eu une famille, des enfants et de l'argent. J'aurais bien vécu», regrette-t-elle, bien qu'elle ait fini par échapper à sa servitude. Sans éducation, elle n'a trouvé qu'à travailler dans les champs pour un dollar par jour environ.

En faisant de leurs filles des devadasis, les familles les plus pauvres s'assurent une source de revenus et s'épargnent le coût d'une dot et d'un mariage. La devadasi, présente dans la culture du sud de l'Inde depuis des siècles, occupait autrefois une place respectable dans la société.

Nombre d'entre elles étaient instruites, formées à la danse et à la musique classique, menaient une vie confortable et choisissaient elles-mêmes leurs partenaires sexuels. «Cette notion d'esclavage sexuel plus ou moins autorisée par la religion ne faisait pas partie du système originel», explique à l'AFP l'historienne Gayathri Iyer.

Selon elle, au XIXe siècle, durant l'administration coloniale britannique, le pacte divin entre la devadasi et la déesse s'est transformé en entreprise d'exploitation sexuelle.

«Deux enfants à 17 ans»

L'Inde n'a interdit cette pratique au niveau national qu'en 1988, mais, selon la commission indienne des droits de l'homme, il y a encore plus de 70'000 devadasis au Karnataka. La commission a ordonné l'an dernier au Karnataka et à plusieurs autres Etats indiens de rendre compte des mesures prises pour empêcher cette pratique.

De nombreux foyers de Saundatti, petite ville dans le sud du pays, où se trouve un temple dédié à Yellamma, estiment qu'avoir une devadasi dans la famille peut porter chance et protéger ses membres. C'est dans ce temple que Sitavva D. Jodatti a été unie à la déesse pour subvenir aux besoins de ses parents. Elle avait huit ans.

«Quand les gens se marient, il y a une mariée et un marié. Quand j'ai réalisé que j'étais seule, je me suis mise à pleurer», raconte-t-elle à l'AFP. Un jour son père est tombé malade. On l'a aussitôt retirée de l'école et soumise à la prostitution pour aider à financer les soins. «A l'âge de 17 ans, j'avais deux enfants», dit-elle.

Elle dirige aujourd'hui une organisation qui aide les anciennes devadasis à s'en sortir, affirmant que la pratique «se poursuit depuis plusieurs décennies».

«Trop jeune pour accoucher»

Selon Nitesh Patil, un fonctionnaire du district responsable de l'administration de Saundatti, il n'y a pas de «cas récents».

Bon nombre des devadasis, qui s'en sont sorties, se sont retrouvées sans ressources et survivent grâce à des petits travaux manuels et agricoles mal payés.

Selon Rekha Bhandari, ancienne devadasi, toutes ont été soumises à «la pratique aveugle d'une tradition», qui a ruiné leur vie. Agée de 13 ans à la mort de sa mère, elle a été offerte à un homme de 30 ans. Elle est tombée enceinte.

«Un accouchement normal était difficile. Le médecin a hurlé sur ma famille que j'étais trop jeune pour accoucher, confie-t-elle à l'AFP. Moi, je ne comprenais rien. On me forçait à faire des choses que je ne voulais pas faire».

A quelques heures du temple de Yellamma, l'ex-devadasi Vatsala se souvient avoir été escroquée par un client et l'avoir maudit. «Après son affaire avec moi, il m'a jeté ce que j'ai cru être de l'argent. C'était en pleine nuit, je ne voyais pas bien et plus tard, j'ai réalisé que ce n'était que du papier», explique à l'AFP Vatsala, 48 ans.

Peu de temps après, en apprenant que l'escroc venait de mourir, elle s'est dit: «Yellamma aussi était en colère».