Judith GodrècheSon témoignage éclaire les «mécanismes» des violences sexuelles
AFP
8.2.2024
Isoler la «proie», vivre dans un milieu complaisant, user de la force, inverser la culpabilité: le témoignage de l'actrice Judith Godrèche peut contribuer à éclairer les «mécanismes» propres aux violences sexuelles et aider des victimes à «déculpabiliser», selon des spécialistes des violences faites aux femmes et aux enfants.
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08.02.2024, 06:33
08.02.2024, 06:47
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Certains de ces éléments avaient été décrits par Vanessa Springora dans «Le Consentement», où elle avait relaté début 2020 la relation sous emprise vécue, à l'âge de 14 ans, avec l'écrivain Gabriel Matzneff, qui en avait 50.
En lisant son récit, Judith Godrèche a «cru que Vanessa Springora avait écrit un livre sur (elle)», a raconté mercredi dans Le Monde l'actrice âgée de 51 ans, qui a porté plainte pour viols sur mineure contre le réalisateur Benoît Jacquot, avec lequel elle a elle-même entretenu une relation dès ses 14 ans.
Dans Le Monde, M. Jacquot, 40 ans à l'époque des faits dénoncés, 77 ans aujourd'hui, «nie fermement les allégations et accusations». Sollicité mercredi par l'AFP, le réalisateur, auteur d’une trentaine de films, n'a pas souhaité réagir davantage.
«Le témoignage de Judith Godrèche évoque l’emprise», estime Ernestine Ronai, responsable de l'Observatoire des violences faites aux femmes en Seine-Saint-Denis.
C'est-à-dire «les moyens qu'un agresseur met en oeuvre pour garder sa proie, pour qu’elle ait du mal à en parler autour d’elle: lui faire penser que c’est elle qui le veut, qu’elle est d’accord. Il l’isole, de ses amis et sa famille», précise-t-elle.
«Situation de pouvoir»
«Un agresseur a une stratégie. Il choisit sa victime selon ses goûts, petit garçon, fillette ou adolescente. Elle est souvent fragile, vulnérable, isolée et il va l'isoler encore plus», confirme Emmanuelle Piet, présidente du Collectif Féministe Contre le Viol (CFCV).
Judith Godrèche raconte dans le Monde s'être rendue seule, à 14 ans, à un casting où elle rencontre Benoît Jacquot, puis être partie seule au Portugal pour tourner «Les Mendiants».
Plus tard, émancipée avant sa majorité, elle quitte le lycée et vit avec le cinéaste, «complètement isolée». «Il m'a coupée de toute vie sociale», décrit-elle.
«Un agresseur crée de l'impunité autour de lui. Il vit dans un milieu protecteur, complaisant, qu'il soit artiste, entraîneur de sport», détaille Mme Piet.
Dans un entretien avec le psychanalyste Gérard Miller, datant de 2011, Benoît Jacquot avait confié que «le cinéma était une sorte de couverture» pour «des mœurs de ce type-là».
«La différence d’âge, le prestige, fait qu’elle se sent incapable de dire non. Un enfant n’a pas la maturité psychique de résister à un adulte en situation de pouvoir», estime Ernestine Ronai.
«Chaud et froid»
Depuis la loi Billon d'avril 2021, votée après le récit de Vanessa Springora, une relation sexuelle avec un mineur de moins de 15 ans est considérée comme un viol.
Dans les affaires d'emprise, un agresseur «souffle le chaud et le froid, alterne la flatterie, la dévalorisation et la cruauté», selon Mme Ronai.
«Il y a toujours chez la victime de la peur: peur d'être déconsidérée, de se retrouver seule, de perdre des opportunités professionnelles, des coups», relève aussi Emmanuelle Piet, dont l'association gère la ligne Viols femmes informations.
Judith Godrèche raconte que «la dernière année devient un enfer absolu, il est violent, il me frappe».
Dans le Monde, Benoît Jacquot affirme pour sa part avoir été «très amoureux» et «happé par elle». «C’est moi, sans ironie, qui ai été sous son emprise pendant six ans», dit-il.
Selon Ernestine Ronai, la difficulté pour les victimes est qu'«un agresseur inverse la culpabilité, lui dit qu'elle l'a cherché, qu'elle l'a séduit». «Il essaie de la faire participer et de lui faire croire qu'elle est d'accord.»
«Judith Godrèche raconte ces mécanismes très clairement: c’est un témoignage très important qui peut aider d’autres personnes à penser ce qu’elles vivent, et à reconnaître qu’il s’agit d’un viol, qu'elles n'en sont pas responsables», conclut cette ancienne membre de la Ciivise, la commission indépendante sur la pédocriminalité.