France Une autoroute pas autorisée mais déjà en service 

ATS

8.4.2022 - 10:27

C'est une autoroute qui a sans doute été construite un peu trop vite: le contournement autoroutier de Strasbourg, qui est emprunté chaque jour par des milliers de véhicules, ne dispose toujours pas d'autorisation de l'Etat en bonne et due forme.

Plusieurs milliers de véhicules, notamment des poids-lourds, empruntent l'A355 qui contourne Strasbourg alors même que ce tronçon d'autoroute ne dispose toujours pas d'autorisation de l'Etat (photo prétexte).
Plusieurs milliers de véhicules, notamment des poids-lourds, empruntent l'A355 qui contourne Strasbourg alors même que ce tronçon d'autoroute ne dispose toujours pas d'autorisation de l'Etat (photo prétexte).
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Keystone-SDA

Au coeur de cette bizarrerie administrative, on trouve un tronçon d'autoroute de 24 kilomètres: l'A355 qui contourne Strasbourg par l'Ouest, sorte de dérivation de l'A35 qui traverse déjà la capitale alsacienne du nord au sud. Selon l'exploitant Vinci, il s'agit du plus grand projet autoroutier de ces dernières années en France.

Envisagé dès 1973, le projet a alimenté pendant des décennies une contestation farouche. Les opposants y voyaient un nouveau sacrifice de terres cultivables et de zones humides, contestant l'idée que ce contournement puisse désengorger l'A35, saturée par les trajets pendulaires des travailleurs rejoignant l'agglomération.

Malgré les manifestations et en dépit des avis défavorables rendus par les instances de contrôle des atteintes à l'environnement, l'Etat a accordé à travers la préfecture du Bas-Rhin l'autorisation de construire ce tronçon d'autoroute à Arcos, filiale du groupe Vinci, en 2018.

Oppositions à ce tronçon

L'autorisation a immédiatement été contestée en justice par l'association Alsace Nature. Trois ans plus tard, en juillet 2021, la justice a partiellement donné raison à l'association, constatant que le dossier d'autorisation était entaché d'insuffisances. En cause, l'impact de l'autoroute sur la santé, la pollution ou l'évolution du trafic automobile.

Néanmoins, malgré ces manquements, la justice n'a pas annulé l'autorisation: elle a simplement imposé à Arcos de compléter son dossier pour que la préfecture puisse éventuellement délivrer un arrêté complémentaire d'autorisation.

Inauguration en décembre

Mais si la procédure d'autorisation a dû reprendre au début, le chantier lui s'est poursuivi. L'autoroute flambant neuve a été inaugurée le 11 décembre dernier par le premier ministre Jean Castex qui a vanté ses «bénéfices écologiques et environnementaux».

Pendant que les premiers véhicules empruntaient la nouvelle autoroute, qui a grignoté 450 hectares classés «parmi les meilleurs sols de France» pour leur qualité agronomique, Arcos a revu son dossier. Elle l'a soumis, comme le veut la procédure, à l'Autorité environnementale qui a retrouvé les mêmes manquements.

Les autres instances consultées ont également rendu des avis défavorables sur l'A355 et la procédure suit son cours avec la tenue d'une deuxième enquête publique après celle de 2018. Jusqu'au 16 avril, les habitants sont une nouvelle fois invités à donner leurs avis sur la pertinence de ce qui reste présenté comme un «projet». Bien qu'il soit déjà achevé.

«Déni de démocratie»

«Clairement on a eu un passage en force et le fait de revenir devant la population, c'est presque de la provocation», estime la maire écologiste de Strasbourg Jeanne Barseghian. L'élue évoque un «déni de démocratie».

«On a besoin de renouer la confiance avec les autorités, il faut que les avis qui sont donnés pèsent réellement sur les décisions prises», réclame la maire. «Interroger les citoyens sur un projet déjà fait, c'est délétère, ça décrédibilise les procédures».

Signalétique trompeuse

Sollicitée, la préfecture du Bas-Rhin ne précise pas comment elle compte prendre en compte tous ces nouveaux avis. Si la délivrance d'un nouvel arrêté de régularisation ne fait guère de doute, la préfète peut imposer certaines mesures à la société Arcos en fonction des observations émises.

En attendant, plusieurs milliers d'automobilistes empruntent bon gré mal gré cette autoroute chaque jour, se plaignant d'une signalétique trompeuse qui incite à passer inutilement par la section à péage, et des tarifs élevés aux heures de pointe.

Tous les acteurs reconnaissent que le contournement reçoit une partie du trafic des poids-lourds. Ceux-ci ont désormais l'interdiction de traverser la ville, sauf pour charger ou livrer: le nombre de camions sur l'A35 a diminué de près d'un tiers, soit environ 3000 par jour.

Cependant, bon nombre de camions en transit sont encore réticents à emprunter le contournement payant: Environ 70% des camions contrôlés sur l'itinéraire historique sont en infraction.