«Sexe, drogue et rock’n’roll» Une croisière exclusive pour les fans de metal

De Gil Bieler

6.12.2019

Bruyants, chevelus et buveurs: les fans de heavy metal ressemblent davantage à des pirates qu’à des passagers de croisière. À l’occasion du festival de musique «70'000 Tons of Metal», ils montent pourtant à bord d’un paquebot de luxe. Et qui a inventé cela? Un Suisse.

Le contraste ne pourrait être plus saisisant. D’un côté  le monde des croisières avec faste, ambiance feutrée, robes haute couture, et de l’autre les festivals de musique pour fans de metal avec bruit, braillements, fringues trouées et canettes de bière.

Andy Piller a pourtant réuni ces mondes si différents: il a fondé le «70'000 Tons of Metal», un festival de musique annuel se déroulant sur un bateau de croisière. Des groupes aux noms tels qu’Atheist, Terrorizer et Grave Digger se produisent à bord de l’imposant «Independence of the Seas».

Comment est-il arrivé à cette combinaison bancale? En buvant des bières, comme le raconte Andy Piller lors d’une rencontre à la gare de Zurich.

Comment cette folle idée a-t-elle pris corps?

«Du balcon de mon ancien appartement à Vancouver, j’avais une vue directe sur la jetée», explique le globe-trotter helvético-allemand. Il a ainsi déclaré au cours d’une douce soirée estivale en compagnie d’amis «et certainement après une bière de trop» qu’il faudrait louer un tel paquebot et y organiser un festival de metal. Ils ont tous répondu que ça ne marcherait jamais, «qu’il y aurait des morts»! Pourtant cette idée ne l’a jamais quitté.

Sa persévérance a finalement payé. En janvier prochain, le festival flottant prendra la mer pour sa dixième édition déjà. Le voyage part de Fort Lauderdale, en Floride, vers une destination des Caraïbes différente à chaque fois et retour. En 2020, il passera par exemple par l’île mexicaine de Cozumel.

Pas moins de 3000 fans de musique et 60 groupes du monde entier sont attendus à bord. L’année passée, 73 nationalités étaient représentées. Andy Piller parle non sans fierté «des nations unies du heavy metal».

La croisière est régulièrement complète tandis que quelques concurrents ont dû baisser pavillon au fil des ans. Andy Piller s’attendait-il à un tel succès de son concept à ses débuts? Il sirote son café. «Je vais le dire comme ça: on n’investit pas plusieurs années de sa vie dans un projet auquel on ne croit pas pleinement». Et parfois «les idées les plus tordues sont en fin de compte les meilleures».

Pas n’importe quel bateau

Il lui a également fallu mener un gros travail de persuasion et recourir au porte-à-porte afin de faire de sa vision une réalité. Piller a élaboré un business plan en profitant selon lui du fait d’avoir déjà travaillé 15 ans comme tour manager. Il connaissait donc bien le secteur de la musique, mais ne comprenait par contre rien aux croisières. Il a dû se familiariser avec le sujet et trouver une compagnie maritime qui voulait bien lui louer un bateau.

Aperçu du festival 70'000 Tons of Metal de 2019.

Il ne fallait pas prendre n’importe quel paquebot. Piller avait des idées précises: une grande scène à l’air libre sur le pont de la piscine était le must à avoir. Et il souhaitait démonter les chaises de la salle de théâtre, présente sur la plupart des paquebots de luxe. «Car un concert de metal avec des chaises, ça ne va pas du tout».

De vilains personnages? Plutôt des assoiffés

En plus des aspects commerciaux, il fallait encore relever le défi de dépasser les préjugés vis-à-vis des fans de metal: «Aux USA notamment, nous sommes toujours stigmatisés», affirme Piller. De nombreuses personnes ne verraient dans ces personnes que des «méchants tatoués» ainsi que des «poseurs de bombes aux cheveux longs».

Il a su finalement convaincre les responsables des compagnies de navigation, au travers de documents et de rapports sur les festivals de musique , de l’attitude pacifique de la communauté du metal. «Et en fin de compte, ils souhaitent aussi faire des affaires».

Après trois ans et demi de travail préparatoire, la première édition du festival voit le jour sur scène en janvier 2011, dans une configuration un peu plus restreinte avec 2000 fans et environ 40 groupes.

L’équipage avait simplement sous-estimé la soif des nouveaux clients: «Avant même d’avoir quittés le port, la première sorte de bière était déjà épuisée», se souvient Piller, amusé. «Durant ma rencontre avec les responsables de la croisière, j’avais encore précisément insisté sur ce point: nous n’avons pas besoin de champagne ou de vin, mais d’assez de bières»! Lors de notre escale à Cozumel, un «défilé entier de camions Corona» nous réapprovisionnés d’urgence.

Du death metal au Flumserhof

Andy Piller connaît ma foi bien son monde: il est fan de metal depuis ses jeunes années. Il a organisé son premier concert durant son adolescence dans son village natal de Flums SG. Du death metal à l’hôtel Flumserhof! «C’était vraiment cool de voir tout à coup tous ces gens aux cheveux longs débarquer au village», dit-il.

L’écolier s’est pris au jeu et d’autres concerts ont été organisés au niveau national, de Bâle à Berne jusqu’en Valais. «J’allais à l’école pour me reposer». Ce n’est pas un hasard s’il a dû changer plusieurs fois d’école «pas tout à fait de son plein gré».

Le festival 70'000 Tons of Metal est devenu aujourd’hui un travail à plein temps. Une bonne douzaine de collaborateurs s’occupent de l’organisation tout au long de l’année et l’équipage du navire est charmé par les fans de metal: Andy Piller déclare souvent entendre qu’«ils ne râlent jamais». Un capitaine en a résumé l’essentiel un jour: «Les gens du metal ont une apparence intimidante, mais ils ont un très bon fond».

Qu’en est-il du «sexe, drogue et rock’n’roll»?

On remarque que le skipper a l’habitude de prendre la défense de sa scène. Interrogé sur les scandales ou les excès de groupes qui se sont produits, Piller reste bien silencieux. Juste ceci: il demande systématiquement aux musiciens s’ils ont déjà vu «Miami Vice». Fort Lauderdale est après tout une banlieue de Miami, et à cause des contrôles douaniers, il n’est pas particulièrement indiqué d’amener de la drogue. «En revanche, après avoir accosté en Jamaïque, il se dégage parfois une odeur suspecte», raconte Piller d’un air malicieux.

Est-ce que l’aventure 70'000 Tons of Metal s’est transformée en routine après toutes ces années? «Une grande partie, oui», déclare Piller. C’est pourtant une personne qui n’est jamais satisfaite et qui cherche constamment à optimiser telle ou telle autre chose. Il travaille ainsi déjà sur de nouvelles idées en vue des prochaines éditions.

Il est aussi préoccupé par la critique de l’empreinte écologique désastreuse des bateaux de croisière, qui a davantage fait entre sa voix au cours des dernières années. Il a été prévu par exemple que les festivaliers puissent désormais directement compenser leurs émissions de CO2 en effectuant leur réservation. Qu’on ne dise pas qu’habits noirs et conscience écologique ne sont pas conciliables.

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