Avant Taïpei Une pièce documentaire à Vidy pour «comprendre Taïwan»

bu, ats

15.3.2024 - 10:01

Après Vienne, Berlin et Bâle, «This Is Not an Embassy (Made in Taïwan)» de Stefan Kaegi et Rimini Protokoll s'arrête à Vidy jusqu'à dimanche avant de partir pour Taïpei. Trois Taïwanais sont les protagonistes de cette pièce documentaire.

Après un spectacle en plein air l'an dernier, Stefan Kaegi de Protokoll Rimini revient avec du théâtre documentaire, consacré à Taïwan : à voir à Vidy jusqu'à dimanche.
Après un spectacle en plein air l'an dernier, Stefan Kaegi de Protokoll Rimini revient avec du théâtre documentaire, consacré à Taïwan : à voir à Vidy jusqu'à dimanche.
ATS

Keystone-SDA, bu, ats

Depuis l'attaque de l'Ukraine par la Russie, «les gens ont une certaine conscience» que Taïwan pourrait connaître le même sort avec la Chine, confie le metteur en scène alémanique Stefan Kaegi à Keystone-ATS.

Pékin considère l'île autonome comme une partie de son territoire et a juré d'en reprendre le contrôle un jour, par la force si nécessaire. La proximité de «This Is Not an Embassy (Made in Taiwan)» avec l'actualité rend les publics sensibles au sort de l'île, quels que soient les pays dans lesquels le spectacle est joué, «même si en Suisse il y a très peu de Taïwanais, environ 2000. Et pas beaucoup plus en Allemagne», ajoute Stefan Kaegi, qui a effectué plusieurs séjours sur place.

Taïwan, dont les bubble tea (boisson à base de thé) et les semi-conducteurs se sont imposés dans le monde, n'est reconnu que par une douzaine de pays et uniquement par le Vatican en Europe. Alors qu'il s'agit de la démocratie la plus développée en Asie et que l'île de près de 23 millions d'habitants, pour une superficie plus petite que celle de la Suisse, se place dans le peloton de tête de l'économie mondiale.

Stefan Kaegi, du collectif Rimini Protokoll, travaille avec les véritables protagonistes de l'histoire. Sur scène apparaissent en effet à tour de rôle la musicienne Debby Szu-Ya Wang, dont le père a commercialisé aux quatre coins du monde les ingrédients du bubble tea, l'ex-diplomate David Wu et une activiste digitale, Chiayo Kuo.

«Eviter la manipulation»

«Les protagonistes, qui racontent leur propre histoire, sont aussi les co-auteurs de la pièce». Un exercice qui ne s'est pas toujours révélé facile, car ils ne partagent pas le même avis sur Tchang Kaï-chek par exemple. Dictateur pour les uns, héros pour les autres, le général a fui la Chine pour Taïwan avec deux millions de personnes en 1949 après avoir perdu contre les communistes.

Les trois protagonistes ne voient pas non plus l'avenir de la même manière: si l'ex-diplomate rêve d'un retour en Chine avec un statut particulier pour l'île, la jeune activiste ne rêve que d'indépendance. Quant à la musicienne, elle porte l'île en tatouage sur son poignet.

Travailler avec les protagonistes d'un événement est une extension du théâtre documentaire ou politique, une forme inventée en Allemagne il y a presque un siècle avec une visée révolutionnaire. On doit à Rimini Protokoll et ses trois metteurs en scène – Helgard Haug, Stefan Kaegi et Daniel Wetzel – une renaissance de ce format à la fin des années 90.

Stefan Kaegi, au front quand Rimini Protokoll se produit dans l'espace francophone, défend l'information et la prise de conscience. «Je préfère ne pas forcer le public à prendre une position. On évite la manipulation au théâtre, une tentative dans laquelle cet art est tombé à plusieurs occasions».

L'expérience dépasse même le seul théâtre puisque sur scène cohabitent plusieurs modes d'expression comme la vidéo, les maquettes, la musique et le texte. Les personnes curieuses d'en savoir plus sur Taïwan pourront encore voir les travaux de quatre artistes à Plateforme 10 ainsi que des films à la Cinémathèque, le tout dans le cadre de Programme commun à Lausanne.

En résidence à Vidy

Stefan Kaegi a choisi le théâtre documentaire après avoir commencé sa carrière comme journaliste, à l'image d'un autre artiste alémanique contemporain, Milo Rau.

Pour ce projet, Stefan Kaegi a travaillé en résidence à Vidy. «Je suis germanophone: il y aurait donc une certaine logique à plutôt choisir un théâtre alémanique ou allemand, mais leur structure ne leur permet pas.»

Les théâtres germanophones travaillent presque tous avec une compagnie fixe de comédiens, affiliée au théâtre. Or pour le metteur en scène, «le format, c'est choisir comment communiquer avec le public: c'est aussi ça le théâtre.»

Après Vidy, «This Is Not an Embassy (Made in Taiwan)» rejoindra le théâtre national de Tapei. «Nous devrons remodeler notre spectacle, car hors de Taïwan, nous créons sur scène une ambassade virtuelle pour un pays, qui n'existe pas aux yeux de la communauté internationale. Or une ambassade n'a de sens qu'hors du pays.»

Stefan Kaegi et Rimini Protokoll ont gagné les prix les plus prestigieux dans le domaine du théâtre comme l'Anneau Hans Reinhart en 2015, précédé en 2011 par le Lion d'Argent de la Biennale de Théâtre de Venise.