«Ça n'est jamais arrivé»Affaire Abbé Pierre: le choix de la transparence pour les associations
AFP
7.9.2024
Emmaüs et la Fondation Abbé-Pierre ont misé sur la transparence malgré le choc suscité par les accusations de violences sexuelles visant l'icône de la lutte contre le mal logement ; une décision louée mais pas exempte de critiques.
AFP
07.09.2024, 14:29
07.09.2024, 14:30
Megane Bochatay
Une première déflagration en juillet, suivie d'une autre vendredi. L'Abbé Pierre, longtemps l'une des personnalités préférées des Français et figure emblématique de la lutte sociale, est accusé par un total de 24 femmes d'avoir commis des violences sexuelles, selon les rapports d'un cabinet spécialisé.
Après avoir été alertées par une ancienne victime, les associations fondées par le prêtre décédé en 2007, Emmaüs International, Emmaüs France et la Fondation Abbé Pierre, avaient décidé de lancer «un travail d’écoute (...) pour établir si d'autres faits similaires avaient pu se produire». Une démarche rare.
En juillet, à la suite de la première salve de révélations, la députée EELV Sandrine Rousseau, connue pour son engagement féministe, avait déjà jugé sur X que la Fondation Abbé-Pierre et Emmaüs étaient «courageux d'avoir posé les choses en transparence».
«C'est vraiment une exception, ce qui est en train de se passer, en termes de démarches des organismes concernés», salue auprès de l'AFP la porte-parole d'Osez le Féminisme Elsa Labouret.
Bémol cependant, elle regrette que le recueil de la parole des victimes «arrive extrêmement tardivement».
«Un tournant»
Les trois structures insistent sur leur «soutien total» aux victimes.
Elles ont confié le recueil des témoignages au cabinet Egaé, présenté comme une référence nationale, choix qui a pu faire grincer des dents au regard de polémiques qui ont accompagné le parcours de sa co-fondatrice, la militante féministe Caroline de Haas.
«La façon dont Emmaüs a décidé d'affronter cette question-là va marquer un tournant (...). Ça n'est jamais arrivé qu'une structure regarde en face, de manière aussi transparente et aussi déterminée, la question des violences sexuelles commises par quelqu'un en son sein», juge Caroline de Haas.
En dépit de la souffrance exprimée par les femmes qui ont dénoncé des violences sexuelles, «plusieurs personnes expriment un soulagement que les faits soient enfin publics et reconnus», note le rapport d'Egaé publié vendredi.
Ancien président d'Emmaüs France et aujourd’hui responsable d’une structure d’insertion au sein du Mouvement, Thierry Kuhn témoigne également de «beaucoup de réactions de gens qui disent : +on est fier d'appartenir à un mouvement qui a su prendre à bras le corps cette question-là et a su réagir sainement : on écoute les victimes, on les croit, on les soutient et on rend publiques ces révélations+».
Trop tard?
Mais l'attitude des associations n'empêche pas des réactions de colère, alors que des révélations dans la presse ont fait état de témoignages déjà connus il y a plusieurs décennies.
Adrien Chaboche, délégué général d'Emmaüs international, évoque ainsi, dans une interview au journal La Vie en juillet, des faits portés à la connaissance de certains membres du Mouvement «à une période où Emmaüs, et plus largement la société française, ne disposaient pas de la même sensibilité sur ces violences».
«Je trouve que c'est un peu facile», tranche Revoii, à la tête de l'association de victimes de violences sexuelles Mouv'Enfants, au sujet d'un travail qui, selon lui, «ne va pas assez loin».
«Est-ce que c'est normal qu'une organisation qui n'a pas dénoncé des crimes et des faits de violences sexuelles (...) puisse faire justice elle-même en mandatant un cabinet privé ?», s'insurge auprès de l'AFP le militant, qui réclame que les structures se penchent sur leur responsabilité et que la justice se saisisse de l'affaire.