Argent, pouvoir, violence«Marchandage» électoral aux Philippines
ATS
20.4.2025 - 08:32
Candidat aux élections municipales, Kerwin Espinosa continue de mener campagne malgré une blessure reçue lors d'une réunion électorale la semaine dernière. Une balle l'a atteint à la poitrine avant de ressortir par le bras.
La violence ne risque toutefois pas de disparaître du paysage politique, estiment des analystes.
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20.04.2025, 08:32
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D'autres ont eu moins de chance. Un candidat au conseil municipal, un fonctionnaire électoral et un chef de village ont notamment perdu la vie lors d'attaques à l'approche des élections de mi-mandat, le 12 mai, où des milliers de postes locaux sont à pourvoir.
Pas moins de 46 actes de «violence politique» ont été relevés par la commission électorale des Philippines, le COMELEC, entre le 12 janvier et le 11 avril 2025.
«Moins de 20» attaques se sont soldées par la mort d'un candidat, ce qui représente le bilan le plus bas de l'histoire récente, relève toutefois le porte-parole du COMELEC, rappelant que les dernières élections législatives avaient fait une centaine de morts.
La violence ne risque toutefois pas de disparaître du paysage politique, estiment des analystes, compte tenu du pouvoir politique et financier que confère un mandat local.
Fonds discrétionnaires
Occuper cette fonction permet ainsi d'attribuer les emplois municipaux, donne accès à des fonds discrétionnaires et permet de contrôler les services de police, explique Danilo Reyes, professeur associé au département de sciences politiques de l'université des Philippines. Et beaucoup sont prêts à mourir – ou à tuer – pour atteindre cet objectif.
«Les enjeux sont les plus importants dans les zones tenues par des familles influentes, ou lorsque des groupes armés privés se mêlent du scrutin», décrypte Cleve Arguelles, directeur de WR Numero Research, une entreprise spécialisée dans l'analyse de la vie politique philippine.
Kerwin Espinosa attendait son tour pour prendre la parole lors d'un rassemblement dans la province de Leyte, le 10 avril, lorsque le tireur a jailli de la foule et a ouvert le feu, selon la police. Sept officiers de police se trouvent désormais en détention dans le cadre de l'enquête sur la fusillade, d'après le général de brigade Jean Fajardo. Mais rares sont les tribunaux locaux à aller jusqu'à la condamnation.
En effet, les responsables nationaux, qui dépendent de leurs bases politiques locales pour leur fournir les voix nécessaires à leur réélection, sont souvent réticents à demander des enquêtes sérieuses, explique Danilo Reyes.
«Les condamnations existent, mais elles sont rares et dépendent avant tout des possibles conséquences pour les dirigeants nationaux ou locaux», estime l'analyste.
«Contrôle direct»
Pour Cleve Arguelles, cette mécanique électorale fait partie intégrante du «grand marchandage» de la politique philippine. «Les élites locales ont leur propre petit royaume et leurs propres réseaux de fidèles et d'obligés», dit-il, et «leurs emprises sont tolérées par le gouvernement tant qu'ils sont capables de fournir des voix lors des élections».
Les actes de violences politiques sont le plus fréquemment signalés dans la région autonome musulmane de Bangsamoro, où le COMELEC a récemment imposé un «contrôle direct» sur les municipalités de Buluan et Datu Odin Sinsuat.
Cette décision a suivi l'assassinat par balle de Bai Maceda Lidasan Abo, responsable locale des élections, et de son mari, le 27 mars. Le «contrôle direct» permet à la commission électorale de commander aux responsables électoraux, mais aussi aux forces de l'ordre. Dans les deux villes concernées, les policiers locaux ont ainsi été suspendus pour la durée du scrutin, d'après le COMELEC.
S'il assure qu'il est «injuste de conclure que les Philippines sont mal équipées pour gérer» les élections, John Rex Laudiangco a toutefois admis que l'entremêlement de liens familiaux, de pouvoir et de politique dans les provinces philippines produit souvent un cocktail explosif en matière d'élections.
«Bien sûr, nous savons tous que les Philippins sont claniques par culture. Mais nous progressons, petit à petit», assure-t-il.